Ouverture à la concurrence des réseaux de bus franciliens : l’Autorité rend un avis à Île-de-France Mobilités sur le processus de mise en concurrence des lignes de bus franciliens de moyenne et grande couronne
L'essentiel
A la suite d’une saisine du Syndicat des Transports d’Île-de-France, également dénommé Île-de-France Mobilités (IDFM), l’Autorité de la concurrence rend un avis sur les conditions de mise en œuvre de l’ouverture à la concurrence en 2021 des réseaux de bus franciliens de moyenne et grande couronne (réseau OPTILE), jusque-là attribués aux opérateurs de transport privés par IDFM par simple désignation.
Cette ouverture à la concurrence s’inscrit dans un processus plus large, découlant du droit européen, qui doit conduire, à compter du 1er janvier 2025, à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus aujourd’hui sous monopole de la RATP.
Si IDFM a déjà mis en place des mesures qui favorisent un processus ouvert dans le cadre de la mise en concurrence du réseau OPTILE (reprise en vue de leur mise à disposition aux opérateurs issus de la mise en concurrence, des dépôts de bus stratégiques et du parc de véhicules des sortants), l’Autorité formule certaines recommandations complémentaires portant sur l’organisation des appels d’offres, les transferts de ressources et l’accès aux données afin de renforcer encore le dispositif.
Le réseau de bus de moyenne et grande couronne parisienne va s’ouvrir à la concurrence en 2021
La loi du 8 décembre 2009 relative à l’Organisation et à la Régulation des Transports Ferroviaires (ORTF), prise en application du règlement européen du 23 octobre 20071, prévoit l’ouverture à la concurrence de l’exploitation des lignes de bus. Le processus d’ouverture à la concurrence est progressif, avec deux phases prévues : en 2021 pour les lignes de bus de moyenne et grande couronne (réseau Optile), en 2025 pour le réseau de bus parisien.
Le réseau Optile regroupe l’ensemble des entreprises privées de transport de voyageurs exploitant des lignes régulières d’autobus inscrites au plan de transport régional d’Île-de-France. Il compte 79 membres dont Keolis et RATP Dev respectivement filiales de la SNCF et de la RATP. Les lignes du réseau Optile desservent principalement la moyenne et la grande couronne parisienne, soit 90 % des communes d’Ile-de-France, et 6 millions de Franciliens.
La saisine d’Île-de-France Mobilités
IDFM considère qu’en candidatant aux contrats de concession sur le réseau Optile, il pourrait être reproché à RATP Dev et à Keolis, de bénéficier d’avantages concurrentiels liés à leur appartenance respective aux groupes RATP et SNCF. Aussi, afin « de garantir une procédure ouverte et non discriminatoire », le Syndicat des Transports d’Île-de-France, devenu Île-de-France Mobilités, a sollicité l’Autorité dans le but de « sécuriser les futures conventions de délégation de service public du réseau OPTILE ».
Les risques identifiés et les recommandations formulées par l’Autorité
Les conditions de la concurrence peuvent être affectées par les conditions d’organisation des appels d’offres, par une mise à disposition imparfaite des principaux moyens d’exploitation aux futurs concessionnaires ainsi que par une transparence relative des données utiles aux soumissionnaires pour répondre de manière adaptée aux appels d’offres. Aussi, l’Autorité émet plusieurs recommandations sur l’organisation des appels d’offres, le transfert de ressources et l’accès aux données.
- L’organisation des appels d’offres
Le rythme de lancement des appels d’offres
Depuis son lancement en février 2018, le processus de mise en concurrence se traduit par une forte concentration de la publicité des informations de marchés sur l’année précédant l’ouverture effective à la concurrence. La concentration des appels d’offres associée à un rythme accéléré du processus au deuxième semestre 2020, est de nature à limiter la capacité de réponse de certains opérateurs qui n’ont pas les capacités pour répondre simultanément à de nombreux appels d’offres. Le rythme des appels d’offres pourrait ainsi constituer une forme de barrière à l’entrée pour certains opérateurs.
Recommandation
L’Autorité recommande un étalement plus marqué du processus de mise en concurrence (éviter d’avoir trop de lots simultanés, par exemple 4, sur les 39 lots à mettre en concurrence).
L’anticipation des appels d’offres par les opérateurs
La plupart des opérateurs font état de difficultés pour répondre à ces appels d’offres successifs, liées à une absence de prévisibilité des dates de lancement du processus de mise en concurrence et des opérations qui en découlent. Un cadencement au fil de l’eau peut obliger les opérateurs à mobiliser en continu des équipes en réponse, ce que ne peuvent faire les plus petits opérateurs, qui doivent de fait s’exclure de la compétition pour une partie significative des lots et ne mobiliser leurs ressources que pour un nombre restreint de lots, en deçà de celui qui aurait pu être envisagé.
Recommandation
L’Autorité recommande qu’IDFM organise, suffisamment en amont, la publicité des lots ouverts à la concurrence (ce qui implique la diffusion précoce de données sur leur volumétrie) et qu’elle publie un calendrier prévisionnel à six mois des appels d’offres à venir.
- Les transferts de ressources
Les dépôts de bus
Les dépôts de bus, sont les sites où sont entrepôsés les bus et cars. IDFM a identifié des dépôts stratégiques, qui sont établis dans des zones d’activité où la contrainte foncière est forte, et qui accordent à celui qui le possède un avantage concurrentiel déterminant. Afin de favoriser la concurrence, IDFM a prévu d’acquérir une soixantaine de ces dépôts stratégiques, afin de les mettre à disposition des nouveaux délégataires.
Cette reprise des dépôts par IDFM, considérés comme indispensables, annule tout risque d’abus de position dominante conféré par la détention d’une telle infrastructure par une entreprise qui en refuserait l’accès, ces entreprises n’en étant plus propriétaires.
L’Autorité appelle néanmoins l’attention d’IDFM sur les lots pour lesquels aucun dépôt stratégique ne sera mis à disposition mais pour lesquels certains opérateurs sortants disposent d’un dépôt qui pourrait les avantager au moment de la candidature puis de l’exploitation.
Il apparaît par ailleurs que dans un certain nombre de secteurs géographiques, il est nécessaire de construire des dépôts. Dans ce cas, IDFM pourrait acquérir ou louer un terrain mis à la disposition du délégataire à charge pour ce dernier de réaliser un dépôt neuf. Le délégataire peut aussi acquérir ou louer un terrain lui-même puis assurer la construction du dépôt. Compte tenu de la tension foncière et des délais incompressibles tenant à la construction de dépôts (environ deux ans), ce délai apparaît incompatible avec le délai de 6 mois prévu entre l’attribution de la délégation et le lancement de l’exploitation. Cette situation est donc de nature à favoriser les exploitants actuels titulaires d’une telle infrastructure et défavoriser les entrants.
De la même façon, en mettant à la charge des attributaires, la recherche et la fourniture de foncier, la procédure d’appel d’offres conduit à favoriser dans une certaine mesure les opérateurs sortants, détenteurs du terrain de dépôts non repris par IDFM. Il en est de même les filiales d’entreprises adossées aux grands groupes publics qui pourraient bénéficier dans des conditions privilégiées de réserves foncières appartenant à la SNCF ou à la RATP (effet de levier).
Recommandation
l’Autorité invite IDFM :
-à poursuivre sa politique de reprise des dépôts stratégiques mais aussi non stratégiques afin de réduire les risques d’avantage tenant à la détention à titre exclusif d’une telle infrastructure.
-à rechercher la mise à disposition de tout opérateur attributaire d’au moins un dépôt stratégique par lot.
-à réexaminer les dispositions imposant la fourniture du foncier ou la construction d’un dépôt.
Le parc des véhicules
IDFM a prévu de racheter, aux entreprises qui exploitent actuellement les lignes qui vont être mises en concurrence, l’ensemble du parc de véhicules nécessaires à l’exécution des services, et de les mettre à la disposition des exploitants choisis après mise en concurrence.
Cette reprise et mise à disposition aux nouveaux entrants, mise en place par IDFM, est un élément important du processus d’ouverture à la concurrence : elle permet de s’assurer que les opérateurs sortants et les entrants potentiels disposeront des mêmes conditions. 5000 véhicules sont concernés, tous lots confondus, et il pourrait être difficile aux opérateurs de les acquérir entre l’attribution des contrats et leur prise d’effet au 1er janvier 2021.
Recommandation
L’Autorité encourage IDFM à poursuivre dans la voie du rachat des véhicules et lui recommande d’indiquer le nombre et les caractéristiques de ces véhicules (gabarit, bus ou car, type de motorisation…) qui seront mis à la disposition des opérateurs attributaires des contrats. Le processus de recensement devra être réalisé avec les transporteurs sortants. IDFM devra s’assurer de la bonne mise à disposition des informations nécessaires.
- L’accès aux données
L’Autorité a constaté que de nombreuses données doivent être connues des candidats pour que ceux-ci puissent élaborer leurs offres. Elle estime que la mise à disposition de ces informations doit être organisée par IDFM de manière à garantir à tous les candidats une information fiable, transparente et exhaustive.
Ce point est d’autant plus important que les détenteurs de ces informations, potentiellement candidats aux appels d’offres, peuvent être, soit des opérateurs sortants, qui les détiennent à titre exclusif en raison de leur lien avec les moyens d’exploitation, soit des opérateurs affiliés aux deux groupes publics, qui pouvaient bénéficier de ce fait d’un accès privilégié à des données relevant de l’exercice du monopole.
Les données relatives au personnel
Le transfert automatique des personnels mis en place par IDFM, présente un enjeu concurrentiel, car il permet à tout opérateur remportant l’appel d’offres de reprendre les personnels affectés à l’exploitation des lignes du réseau alloti, sans avoir à effectuer le recrutement de ressources rares. Pour des raisons d’équité entre opérateurs sortant et entrant, tout candidat doit être parfaitement informé des obligations de reprise des personnels, inhérentes au changement d’exploitant.
Recommandation
L’Autorité recommande que les opérateurs fournissent à IDFM les éléments essentiels concernant leur main d’œuvre, tels que le nombre de salariés, la nature des contrats, les différents avantages sociaux, l’expérience du salarié, son ancienneté, sa qualification.
Les données dont disposent RATP Dev et Keolis en raison de leur appartenance à un monopole
En qualité de gestionnaire technique du réseau de transport public du Grand Paris (métro et RER), la RATP dispose d’un atout qui pourrait bénéficier à l’opérateur RATP Dev, au regard des informations stratégiques détenues sur l’avancement et les caractéristiques de ce projet. Le projet du réseau de transport du Grand Paris aura un impact sur les autres réseaux de transport routier franciliens (organisation des correspondances, information des voyageurs…). Les données d’avancement du projet du Grand Paris peuvent aussi s’avérer utiles pour apprécier l’évolution prévisible des modes de transport en région parisienne et des volumes transportés, du point de vue d’un candidat.
Recommandation
L’Autorité recommande que les données sur l’avancement calendaire du projet du Grand Paris émanant de la Société du Grand Paris soient partagées en temps réel et en open data par IDFM.
Par ailleurs, la RATP propose aux usagers un calcul d’itinéraire propre tendant à orienter les voyageurs vers des services de transport public exploités par le groupe RATP. Les opérateurs concurrents recourent pour leur part à un calculateur d’itinéraire (Vianavigo) mis à disposition par IDFM, aujourd’hui moins utilisé par les usagers, mais qui garantit la transparence des données restituées et la neutralité vis-à-vis des opérateurs de transport.
Recommandation
L’Autorité recommande qu’IDFM assure la publicité la plus large à son propre calculateur d’itinéraire.
Keolis est susceptible, en raison de son lien avec la SNCF, de bénéficier d’un accès privilégié aux horaires annuels prévisionnels et aux changements d’horaires en cours d’année, liés aux travaux de maintenance sur les lignes ferroviaires. Cette situation pourrait lui permettre de mettre en œuvre des correspondances efficaces entre les réseaux de transport urbain et les trains de la SNCF.
Recommandation
L’Autorité recommande de consolider le dispositif de mise à disposition par IDFM des horaires en temps réel en open data.
La SNCF étant gestionnaire des gares ferroviaires par sa filiale Gares et Connexions, qui attribue les espaces en gare, elle pourrait favoriser sa filiale KEOLIS, concernant la mise en place de points d’informations (panneaux de localisation et d’organisation des transports urbains et interurbains) et de vente de billets dans les gares.
Recommandation
L’Autorité recommande de pérenniser sous forme d’open data les informations du catalogue listant les services en gare accessibles à tout opérateur ainsi que leur tarification.
L’ensemble des recommandations est disponible dans un tableau récapitulatif en fin d’avis.
1Règlement du 23 octobre 2007 relatif aux services Publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route (OSP : « obligations de service public »).