L’Autorité de la concurrence rend un avis sur la liberté d’installation des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation
Afin d’améliorer l’accès des justiciables au droit tout en tenant compte de l’évolution des contentieux portés devant les hautes juridictions, elle recommande la création de quatre offices d’ici 2018.
En application de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (« loi Macron »), l’Autorité de la concurrence recommande la création de quatre offices d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation d’ici 2018.
Le nombre des offices serait ainsi porté de 60 à 64, soit une augmentation de près de 7 %. Cette recommandation, prudente et proportionnée, tient non seulement compte de la situation économique des offices actuels, qui est particulièrement favorable et offre par conséquent un potentiel d’accroissement de leur nombre, mais aussi de la faiblesse du vivier des candidats à l’installation à l’horizon de deux ans et des incertitudes entourant actuellement les perspectives d’évolution du contentieux devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Les projets de réforme du modèle français de cassation, dont les contours ne sont pas encore parfaitement définis, conditionnent en effet fortement ces perspectives d’évolution.
L’Autorité formule en outre 14 recommandations pour améliorer l’accès aux offices (en particulier des femmes) et abaisser les barrières à l’entrée des futurs candidats à l’installation.
L’avis de l’Autorité sera prochainement publié au Journal officiel en application de l’article 3 du décret n°2016-215 du 26 février 2016.
Un avis de l’Autorité sollicité dans le cadre des dispositions de la « loi Macron »
En tant qu’officiers ministériels, les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation (avocats dits « aux Conseils ») sont nommés par le Garde des Sceaux, ministre de la justice. Ils interviennent essentiellement devant les hautes juridictions des ordres administratif (Conseil d’État) et judiciaire (Cour de cassation). Ils y bénéficient, dans la majorité des matières, d’un monopole de la représentation des justiciables (dépôt du pourvoi en cassation, des mémoires et présentation d’observation orales). Si ces prestations exclusives représentent 90 % de leur activité, les avocats aux Conseils peuvent également intervenir devant d’autres juridictions (tribunaux administratifs, cours administratives d’appel, Conseil constitutionnel, Cour européenne des droits de l’homme, Cour de justice de l’Union européenne…) et exercer une activité de conseil juridique, en concurrence avec les avocats à la Cour.
Le nombre d’offices (soixante) n’a pas été modifié depuis 1817, date de création de la profession. Quant au nombre de professionnels, il est passé de 91 en 2004 à 112 en 2016 (+ 20 %). En dehors du cas relevant de l’aide juridictionnelle, les honoraires pratiqués par les avocats aux Conseils sont libres.
L’Autorité considère qu’un marché de niche, qui réserve des prestations exclusives à un petit nombre de professionnels, peut être à l’origine d’un phénomène de rente (au sens économique du terme), dont les effets négatifs devraient être corrigés. Les mesures correctives théoriquement envisageables relèvent soit de la suppression du monopole, par le biais d’une ouverture du marché, soit de la régulation tarifaire, soit d’une combinaison de ces deux moyens. Contrairement aux autres officiers ministériels (notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires et greffiers des tribunaux de commerce), l’Autorité n’a pas été associée aux réflexions sur le mode de régulation optimal de cette profession très spécifique en amont des travaux parlementaires. Le législateur lui a cependant confié pour mission d’identifier « le nombre de créations d’offices d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation qui apparaissent nécessaires pour assurer une offre de services satisfaisante » et « de faire toutes recommandations en vue d’améliorer l’accès aux offices »1.
Dans ce cadre contraint, l’Autorité s’est limitée à proposer dans le présent avis une augmentation progressive du nombre d’offices et à formuler au gouvernement des recommandations pour améliorer l’accès à ces mêmes offices. Ces recommandations s’appuient sur une analyse approfondie de l’évolution du contentieux devant les hautes juridictions (Conseil d’État et Cour de cassation) comme les juridictions du fond, de considérations liées à la bonne administration de la justice, des données retranscrivant l’activité économique des offices existants, ainsi que sur les résultats de la consultation publique lancée en février dernier.
Un potentiel de création évalué à quatre offices à l’horizon de deux ans
L’Autorité recommande la création de quatre offices d’ici 2018.
La conjonction d’un faible nombre de professionnels, de prestations exclusives, d’une organisation flexible (recours massif à des collaborateurs libéraux pour traiter les dossiers) et d’une liberté tarifaire totale, conduit à une situation très favorable pour les professionnels en place. Le bénéfice moyen par professionnel s’est élevé à 543 000 euros par an, sur la période 2010-2014, soit plus de 45 000 euros par mois. Ce niveau d’activité s’explique en partie par le grand nombre de dossiers traité par chacun d’entre eux (468 affaires par an en moyenne, avec un maximum de 1 800). Il existe donc un potentiel d’accroissement du nombre des offices, qui bénéficiera tant aux clients (meilleure négociabilité des honoraires et augmentation du temps consacré à chaque pourvoi) qu’aux nouveaux entrants (accès à l’exercice libéral pour des diplômés du certificat d’aptitude à la profession ou CAPAC).
Toutefois, pour établir ses recommandations, l’Autorité a tenu compte de deux facteurs limitants :
- d’une part, le nombre des candidats potentiels à l’installation en tant qu’avocat aux Conseils, qui doivent être diplômés du CAPAC, est très limité2 ;
- d’autre part, l’évolution du contentieux devant le Conseil d’État et la Cour de cassation est incertaine sur longue période : ce contentieux a diminué de 5,4 % entre 2010 et 2015. Les incertitudes sont par ailleurs renforcées par les projets de réformes, notamment sur le filtrage des pourvois, envisagées au sein de la Cour de cassation.
La situation des avocats aux Conseils est donc très différente de celles d’autres professions réglementées examinées par l’Autorité, comme les notaires, dont l’activité a fortement progressé au cours des quinze dernières années, est directement corrélée à l’évolution de la population et des marchés immobiliers, et présente des perspectives dynamiques d’évolution au cours des prochaines années.
Compte tenu de cet aléa, l’Autorité a adopté une approche prudente pour les deux ans à venir, en recommandant la création de quatre offices3. Il va de soi que ce premier avis ne préjuge pas des recommandations qui pourront être formulées à l’avenir, lors du prochain examen biennal de l’offre de services des avocats aux Conseils, qui tiendra notamment compte de l’évolution observée du contentieux et des réformes conduites, voire abouties, du modèle français de cassation.
Les autres recommandations de l’Autorité
Pour assurer le succès de la réforme et conformément aux demandes du législateur, l’Autorité adresse également au ministre de la justice, qui est le garant de la liberté d’installation des avocats aux Conseils, quatorze recommandations visant à rendre la procédure de créations d’offices plus transparente et à limiter les restrictions d’accès à cette profession.
Parmi celles-ci, l’Autorité recommande :
- d’allonger le délai de dépôt des candidatures relatives à la création d’offices et de rendre plus transparente la procédure de classement des candidats aux offices créés ;
- de réduire les barrières à l’entrée pour ces candidats, notamment en matière de formation et de publicité ;
- de mieux faire connaître la profession aux étudiants en droit et aux avocats à la Cour, afin d’élargir le vivier des futurs candidats à l’installation ;
- d’améliorer l’accès des femmes aux offices, en renforçant les dispositifs permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie privée dans cette profession libérale, et en améliorant l’information statistique par sexe disponible sur la question.
1 Article 57 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (« loi Macron ») et article L. 462-4-2 du code de commerce.
2 L’Autorité estime ce vivier à une dizaine de candidats.
3 Un office peut accueillir au maximum quatre avocats aux Conseils associés.