L’Autorité de la concurrence interdit, pour la première fois, une opération de concentration
La société Soditroy et l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc entendaient prendre le contrôle conjoint d’un hypermarché Géant Casino dans l’agglomération troyenne.
Cette opération présentait des risques concurrentiels élevés de hausses de prix pour les consommateurs.
En l’absence de remèdes adaptés aux problèmes de concurrence identifiés, l’Autorité a été conduite à interdire l’opération.
L'essentiel
L’Autorité de la concurrence rend aujourd’hui une décision par laquelle elle interdit la prise de contrôle conjoint d’un hypermarché Géant Casino situé dans la commune de Barberey-Saint-Sulpice (Aube) par la société Soditroy et l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc (ci-après « l’ACDLec »).
- Il s’agit de la première décision d’interdiction rendue en matière de contrôle des concentrations par l’Autorité de la concurrence depuis qu’elle dispose de cette compétence (2009).
- L’opération aurait entraîné la constitution d’un duopole entre les enseignes d’hypermarché Carrefour et E. Leclerc dans l’agglomération troyenne, facilitant la mise en place d’un comportement de coordination tacite dans la zone de chalandise concernée.
- L’opération aurait également emporté une hausse des prix due à la disparition de la rivalité entre l’hypermarché racheté et l’hypermarché E.Leclerc déjà présent dans la zone troyenne.
- En l’absence de remèdes adaptés, l’Autorité a décidé d’interdire la réalisation de l’opération notifiée.
Les parties à l’opération
Le propriétaire de la société Soditroy détient également la société SIPAN qui exploite notamment, sous enseigne E. Leclerc, un hypermarché situé à Saint-Parres-aux-Tertres (10), deux supermarchés situés à Lusigny-sur-Barse (10) et à Rosières-près-Troyes (10) et quatre « points de retrait » (magasins de type « drives »).
L’ACDLec est l’organe qui définit la stratégie du mouvement E. Leclerc, dont sont adhérentes toutes les personnes physiques qui dirigent les sociétés d’exploitation de magasins E. Leclerc. L’ACDLec détermine notamment les conditions d’agrément au mouvement E. Leclerc et signe les contrats d’enseigne (ou « de panonceau ») dont doivent être titulaires les exploitants de magasins de commerce de détail E. Leclerc.
L’hypermarché visé par l’opération est situé à Barberey-Saint-Sulpice, et est exploité sous enseigne Géant Casino. Une station-service complète le magasin.
Les marchés concernés
Les opérateurs concernés sont présents sur les marchés amont de l’approvisionnement en produits de grande consommation et les marchés aval de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire.
L’opération présentait des risques concurrentiels sur le marché de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire en hypermarchés
Au terme d’une procédure d’analyse approfondie du projet de rachat (phase 2), incluant notamment une consultation des opérateurs de la zone (hypermarchés, supermarchés, discompteurs…) et la réalisation de sondages auprès des clients du Géant Casino et de l’hypermarché E. Leclerc de Saint-Parres-aux-Tertres, l’Autorité a estimé que l’opération entraînait la constitution d’un duopole entre les enseignes Carrefour et E. Leclerc et présentait des risques élevés d’atteinte à la concurrence sur le marché de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire en hypermarchés dans l’agglomération troyenne. Cette analyse était renforcée par la présence de barrières règlementaires à l’entrée rendant très improbable l’arrivée d’un nouveau concurrent de type hypermarché.
- La disparition de l’enseigne Géant Casino aurait entraîné une importante perte de diversité pour le consommateur
Dans une zone comptant, avant l’opération, deux hypermarchés Carrefour, un hypermarché Leclerc et un hypermarché Géant Casino, la disparition de l’enseigne Géant Casino aurait entraîné mécaniquement une réduction de la diversité de l’offre pour le consommateur. A la suite de l’opération, les deux points de vente hypermarché E. Leclerc de la zone (l’hypermarché passé sous enseigne E.Leclerc et l’actuel hypermarché sous enseigne E.Leclerc de Saint-Parres-aux-Tertres) auraient été détenus par les mêmes propriétaires, ce qui aurait eu pour effet d’harmoniser les produits commercialisés et les politiques commerciales des deux points de vente.
- Un risque de hausse des prix au travers d’effets unilatéraux
L’Autorité a constaté que suite à une modification de la politique tarifaire du magasin Géant Casino courant 2018, les prix de ce dernier étaient relativement élevés par rapport à ceux de ses concurrents sur la zone troyenne, ce qui entraînait pour ce magasin une perte de clientèle et de mauvaises performances commerciales. Elle a jugé qu’indépendamment de l’opération, ces prix allaient vraisemblablement baisser, soit dans le cadre d’une reprise du magasin par un autre acheteur, soit dans le cadre d’un changement, par le magasin, de sa politique commerciale ou tarifaire. Par rapport à cette situation, une reprise du magasin Géant Casino par le magasin Leclerc génère naturellement un risque de hausse de prix (ou de moindre baisse de prix), en supprimant la concurrence existant entre ces deux magasins.
L’Autorité a en outre considéré que l’opération aurait emporté un risque de hausse des prix dans le magasin E. Leclerc de Saint-Parres-aux-Tertres. En effet, une fois le magasin Géant Casino passé sous enseigne E. Leclerc, il représenterait une alternative très attractive pour les clients du magasin E. Leclerc de de Saint-Parres-aux-Tertres. Par rapport à la situation antérieure à l’opération, ce magasin est désormais en mesure d’augmenter ses prix, car une part significative des clients mécontents de la hausse de prix choisiraient d’effectuer leurs courses dans le nouvel hypermarché E. Leclerc de la zone.
- Risque d’effets coordonnés : facilitation de la coordination du comportement des points de vente exploités par les enseignes Carrefour et E. Leclerc
Enfin, l’Autorité a estimé qu’à l’issue de l’opération, la nouvelle entité aurait facilement été en mesure de coordonner tacitement son comportement sur la zone troyenne avec celui de l’enseigne Carrefour.
En effet, l’Autorité a d’abord constaté que le marché de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire est un marché transparent sur lequel les acteurs peuvent aisément avoir connaissance du comportement de leurs concurrents (prix pratiqués, campagnes de promotions…). Ensuite, considérant que l’opération aurait permis d’aboutir à un duopole équilibré sur la zone troyenne, tant en termes de surface que par le positionnement géographique des différents points de vente, l’Autorité a relevé que chacun des acteurs aurait été en mesure d’exercer des représailles en cas d’écart par rapport à la ligne de conduite commune, ce qui n’était pas le cas avant l’opération. Enfin, l’Autorité a estimé qu’il ne resterait aucun concurrent actuel ou potentiel capable de contester un comportement coordonné des enseignes Carrefour et E. Leclerc.
Les gains d’efficience n’auraient pas permis de compenser les risques liés à l’opération
Lors de l’examen de la contribution au progrès économique attendue de l’opération, l’Autorité a considéré que les entreprises parties à l’opération n’avaient pas apporté la preuve que l’opération envisagée était susceptible d’engendrer des gains d’efficience suffisants pour contrebalancer les risques concurrentiels relevés.
Les remèdes proposés n’étaient pas de nature à répondre aux problèmes de concurrence identifiés
Afin de répondre aux problèmes de concurrence identifiés, les parties notifiantes ont déposé une proposition d’engagement permettant, selon elles, de remédier aux risques identifiés sur le marché de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire, en proposant de réduire la surface du magasin Géant Casino de 8 210 m² à 6 000 m².
Les engagements présentés par les parties n’ont pas été considérés comme adaptés pour écarter les risques concurrentiels identifiés. En effet, un tel engagement aboutirait à réduire l’offre disponible aux consommateurs.
Dès lors qu’aucune mesure corrective adaptée ne pouvait être envisagée sous la forme d’injonctions ou d’engagements, l’Autorité a décidé d’interdire l’opération.