Télécoms

Convergence entre les télécoms fixes et mobiles : l’Autorité rend son avis et fait des recommandations

telephonie

L’utilisation croisée de bases de clientèle est possible, y compris de la part d’Orange.

La mise sur le marché d’offres de convergence par ce dernier opérateur mérite une attention au cas par cas, compte tenu des risques pour la concurrence.

L’Autorité fait des recommandations pour améliorer la fluidité du marché.

L’Autorité de la concurrence a décidé, de sa propre initiative, de rendre un avis sur la question de l’utilisation croisée de bases de clientèle (dites de « cross selling ») et plus spécifiquement sur les effets possibles de ce type de pratiques dans le secteur des télécommunications. Elle a procédé à la jonction de cette saisine d’office avec celle, plus ancienne, du ministre de l’économie « sur la situation concurrentielle et sur l’état de fonctionnement des marchés des communications électroniques compte tenu des profondes modifications qu’ils connaissent actuellement ».

Le mouvement de convergence entre fixe et mobile conduit à un modèle d’opérateur « universel », se traduisant par l’émergence de nouvelles pratiques commerciales

Lors de l’ouverture à la concurrence du secteur des communications électroniques, les marchés de la téléphonie fixe, de la téléphonie mobile et de l’accès à Internet haut débit se sont, dans un premier temps, développés de manière relativement indépendante. Depuis quelques années, les opérateurs privilégient des stratégies de « convergence » entre ces différents marchés, au travers d’opérations de diversification, de concentration ou de partenariat. Le marché s’oriente aujourd’hui vers un modèle « d’opérateur universel », capable de répondre à l’ensemble des besoins des consommateurs.

Cette évolution incite logiquement les opérateurs, d’une part à utiliser de manière croisée leurs bases de clientèle - c’est-à-dire à utiliser les données commerciales déjà détenues sur un marché (par exemple la téléphonie mobile) pour se développer sur un autre marché (par exemple l’Internet haut débit) - et d’autre part à proposer des offres de couplage « tout en un », dites offres de convergence. Il peut s’agir de convergence commerciale de type « triple play » (téléphone fixe, internet, télévision) et plus récemment de type « quadruple play » (téléphone fixe et mobile, internet et télévision), ou de convergence technique.

Bouygues Télécom a lancé en octobre 2008 une offre quadruple play (Idéo) et SFR s’apprête à faire de même. Ces deux opérateurs utilisent par ailleurs leurs fichiers clients et leurs réseaux d’agences relatifs à leur activité mobile pour promouvoir leurs offres d’accès à Internet haut débit. Face au succès rencontré par ces pratiques commerciales, France Télécom - Orange s’interroge sur sa capacité à s’inscrire dans ce modèle sans entraver le droit de la concurrence. Elle a annoncé très récemment son intention de « riposter » en lançant à son tour une offre quadruple play.

L’utilisation croisée de bases de clientèle par Orange ne paraît pas pouvoir engendrer, à elle seule, d’effet d’éviction

De façon générale, l’utilisation croisée des bases de clientèle et les offres de couplage sont bénéfiques pour les consommateurs : elles peuvent dégager des économies de coûts susceptibles d’être transmises aux consommateurs au travers de baisses de prix et d’accroître l’intensité de la concurrence par un abaissement des barrières à l’entrée. Elles peuvent cependant produire des effets anticoncurrentiels lorsqu’elles sont utilisées par une entreprise en position dominante agissant par effet de levier pour évincer ses concurrents.

Dans le secteur des télécommunications, l’utilisation croisée par Orange, de ses bases de clientèle entre les marchés du mobile et du haut débit ne paraît pas, de prime abord, pouvoir distordre la concurrence à elle seule. En effet, ces données ne constituent pas des informations privilégiées, non reproductibles par les concurrents : elles ont été acquises dans le cadre d’une compétition par les mérites. Par ailleurs, même s’il est encore difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact de ces pratiques, déjà mises en œuvre par Bouygues Télécom et SFR, il semble que l’évolution récente des parts de marché en faveur de ces derniers soit davantage liée à l’attractivité tarifaire des nouvelles offres de couplage proposées aux consommateurs, ou à d’autres facteurs comme la qualité de service, qu’à l’utilisation croisée de bases de clientèle.

En revanche, la mise sur le marché d’offres de convergence par Orange présente des risques pour la concurrence, notamment tant que la situation restera bloquée sur le marché mobile : elle mérite une attention au cas par cas.

 

 

 

  • En premier lieu, la généralisation des offres de convergence risque d’accroître encore les coûts de changement d’opérateur pour le consommateur.

    Sur le marché de la téléphonie mobile, les durées longues d’engagement et l’augmentation des services à valeur ajoutée proposés (applications, téléchargements audio, vidéo ou de jeux, espace de stockage …) constituent des freins au changement pour le consommateur. Sur le marché de l’accès à Internet haut débit, les barrières au changement d’opérateur sont plutôt d’ordre technique : l’accès Internet est interrompu à cause du délai de raccordement par le nouvel opérateur. Par ailleurs, il subsiste encore des difficultés s’agissant de la portabilité des numéros de téléphone. Le risque est que les offres de convergence conduisent à cumuler ces coûts de changement, limitant ainsi l’intensité de la concurrence.
     
  • En deuxième lieu, les offres de convergence présentent un risque de verrouillage, non plus uniquement des clients, mais des foyers : lorsqu’un foyer dispose d’un abonnement Internet haut débit et de plusieurs abonnements mobiles, les avantages techniques ou tarifaires des offres de couplage et de convergence incitent ses membres à migrer vers le même opérateur pour tous leurs besoins. Or ce mouvement a de fortes chances d’avantager mécaniquement les opérateurs qui disposent des meilleures parts de marché (« effet club »)
     
  • En troisième lieu, compte tenu des barrières à l’entrée sur le marché mobile, la généralisation des offres de convergence pourrait distordre la concurrence au bénéfice des trois opérateurs mobiles en place et au détriment des autres opérateurs. En effet, dans un secteur qui s’oriente vers le modèle d’opérateur universel proposant au consommateur des offres « tout en un », un opérateur, même efficace, qui éprouverait des difficultés pour pénétrer l’un des marchés concerné, pourrait se trouver gravement pénalisé dans l’exercice de la concurrence et risquer à terme l’éviction. Ce risque pourrait être atténué si le quatrième opérateur mobile, Free, bénéficiait rapidement d’une prestation d’itinérance sur l’un des réseaux en place, non seulement pour la 2G mais aussi pour la 3G compte tenu du très fort succès des smartphones et des « clés 3G ». Or l’Autorité note que les négociations butent actuellement sur ce point.


L’Autorité préconise l’adoption de mesures pour améliorer la fluidité des marchés et prévenir les risques de verrouillage

Même si cela ne relève pas directement du droit de la concurrence, l’Autorité note que certaines mesures favorables aux consommateurs, tendant à faciliter le changement d’opérateur, pourraient également améliorer la fluidité des marchés et prévenir le risque de verrouillage des foyers chez un unique opérateur.

Ces mesures pourraient par exemple porter sur les durées d’engagements, les conditions de réengagement des clients souscrivant à une offre de couplage, la synchronisation du terme des abonnements aux services haut débit et mobile, la standardisation de certaines fonctionnalités pour en assurer l’interopérabilité, ainsi que la portabilité des services convergents actuels et futurs (numéros unique ou applications distantes par exemple) à destination des consommateurs qui détiennent des abonnements multiples auprès d’un même fournisseur et souhaitent en changer.

Certaines de ces mesures pourraient être mises en œuvre à l’initiative des opérateurs, d’autres peuvent nécessiter l’adoption de textes législatifs ou réglementaires. L’Autorité relève à cet égard que l’ARCEP doit remettre au gouvernement, à l’été, un rapport de mise en œuvre de la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs.

 

 

Contact(s)

Virginie Guin
Directrice de la communication
Imprimer la page