L’Autorité de la concurrence (ci-après, « l’Autorité ») a été saisie le 8 décembre 2022 par le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique d’un projet de décret relatif aux conditions et limites de commercialisation, par une société commerciale, des droits d’exploitation des manifestations et compétitions sportives organisées par une ligue professionnelle.
L’article 51 de la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France a introduit dans le code du sport (article L. 333-1) des dispositions prévoyant qu’une ligue professionnelle peut confier la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’elle organise à une société commerciale créée à cet effet, dans des conditions et limites « permettant notamment le respect des règles de la concurrence » fixées par décret en Conseil d’État.
Le texte soumis à l’Autorité vise, en particulier, à étendre l’application de l’article R. 333-3 du code du sport, aujourd’hui limitée au cas où les droits audiovisuels commercialisés par une ligue professionnelle ont préalablement été cédés par la fédération aux clubs sportifs, à la commercialisation, par une société commerciale créée par une ligue, à titre exclusif, des droits d’exploitation, audiovisuels et non-audiovisuels, dépassant une valeur fixée par arrêté ministériel pris après avis de l’Autorité.
Aux termes de l’article R. 333-3 précité, la commercialisation des droits concernés doit, notamment, être réalisée selon une procédure d’appel à candidatures publique et non discriminatoire. Les droits doivent être offerts en plusieurs lots distincts et la durée des contrats conclus à l’issue de l’appel à candidatures ne peut excéder quatre ans.
Si, de façon générale, l’Autorité ne peut qu’accueillir positivement toute initiative dont l’objectif est d’améliorer ou de garantir le respect du droit de la concurrence, elle s’interroge sur les options retenues à cette fin par le projet de décret soumis pour examen.
L’Autorité relève, en premier lieu, que le champ d’application du projet de décret paraît particulièrement restreint, la plupart des ligues sportives n’envisageant pas de créer de société commerciale, et la valeur actuelle des droits de ces ligues se situant par ailleurs très nettement en deçà du seuil envisagé à ce jour par le ministère des Sports, à l’exception des droits du football et du rugby.
Elle émet, en deuxième lieu, des réserves sur l’opportunité d’ajouter au droit commun de la concurrence un régime de régulation ex ante dont l’application ne serait pas fondée sur un risque concurrentiel avéré ayant fait l’objet d’une analyse in concreto. Elle constate à cet égard que l’article R. 333-3 vise, à ce jour, à encadrer un système de vente centralisée de droits détenus par les clubs sportifs. Un système comparable avait, en effet, à l’issue d’une analyse concrète, été jugé contraire à l’article 81 du Traité CE (aujourd’hui 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ci-après « TFUE ») par la Commission européenne dans une décision de 2003 portant sur les droits de l’UEFA.
En troisième lieu, l’Autorité n’est pas favorable au maintien d’un dispositif par lequel elle serait sollicitée sur le seuil déclenchant l’application du dispositif prévu à l’article R. 333-3 précité. D’une part, elle n’est pas en mesure de se prononcer sur l’existence d’un pouvoir de marché en dehors de tout examen in concreto des conditions de concurrence et, d’autre part, le dispositif envisagé par le projet de décret aurait pour effet de figer dans le temps l’application d’un régime destiné à encadrer l’exercice d’un pouvoir de marché, alors même que les éléments pertinents pour l’appréciation de ce pouvoir de marché peuvent sensiblement et rapidement varier.
En quatrième lieu, s’agissant de la commercialisation des droits du rugby, l’Autorité relève, d’une part, que la commercialisation des droits du Top 14 est déjà soumise à l’application du droit commun de la concurrence, et, d’autre part, que la Ligue nationale de rugby commercialise ces droits dans des formes proches de celles exigées par l’article R. 333-3, alors même qu’elle n’est pas assujettie à cette disposition.
Enfin, l’Autorité relève que, comme l’ont souligné tant les ligues sportives que leurs partenaires commerciaux, les conditions strictes de commercialisation prévues par l’article R. 333-3 du code du sport, qui exigent notamment l’organisation d’un appel d’offres avec constitution de lots pour une durée maximale de quatre ans, ne paraissent pas adaptées à la commercialisation des droits non-audiovisuels, en raison de la structure de l’offre et de la demande, mais aussi de la souplesse requise en la matière, qui conduit l’ensemble des acteurs concernés à privilégier, pour ce type de droits, les négociations de gré à gré.
En conséquence, l’Autorité préconise de supprimer la disposition ayant pour objet d’étendre l’application de l’article R. 333-3 à la commercialisation par une société commerciale créée par une ligue, à titre exclusif, des droits d’exploitation audiovisuelle et non-audiovisuelle dépassant une certaine valeur et dont le montant doit être fixé par arrêté ministériel pris après avis de l’Autorité. Si cette proposition n’était pas suivie, elle propose, à titre subsidiaire, de supprimer la disposition prévoyant une consultation de l’Autorité sur le montant du seuil de valeur fixé par arrêté ministériel.