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Produits préfabriqués en béton : l’Autorité sanctionne 4 ententes et prononce une sanction globale de 76 645 000 euros répartie entre 11 entreprises

Béton

L'essentiel

L’Autorité de la concurrence sanctionne quatre ententes dans le secteur des produits préfabriqués en béton. Onze entreprises sont sanctionnées pour un montant total de 76 645 000 euros.  

Si l’Autorité a sanctionné des pratiques d’entente pour des périodes variant de 7 à 10 ans selon les griefs retenus (de 2008 ou 2011 à 2017ou 2018), elle souligne néanmoins que les éléments du dossier montrent qu’en réalité, ces pratiques étaient profondément ancrées dans le mode de fonctionnement du secteur, au point que certains participants aux pratiques ont déclaré avoir « perdu de vue » le caractère illégal de leurs agissements et être dans l’impossibilité de déterminer de manière précise le début des pratiques, lesquelles, selon eux, pourraient remonter aux années 1980.

L’existence d’un volet pénal

Informée par un signalement de la DGCCRF (BIEC de Lille), la rapporteure générale de l’Autorité avait adressé un rapport sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale au procureur de la République

À la suite de ce signalement, le juge d’instruction a fait procéder à des interceptions d’échanges téléphoniques et des perquisitions dans les locaux de plusieurs sociétés incriminées. Une perquisition s’est également déroulée à l’Hôtel Mercure de Roissy, interrompant une réunion réunissant sept représentants d’entreprises.  La présente décision de l’Autorité ne préjuge en rien de l'issue de la procédure pénale.

Deux demandes de clémence

A la suite des perquisitions pénales, les entreprises KP1 et Rector ont déposé deux demandes de clémence auprès de l’Autorité. L’Autorité s’est alors autosaisie et a ouvert une instruction concernant d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des éléments préfabriqués en béton. Les déclarations de KP1 ont notamment permis à l’Autorité de déceler d’autres pratiques anticoncurrentielles que celles détectées à partir des éléments de l’enquête pénales transmis à l’Autorité par le juge d’instruction.

Quatre ententes sanctionnées :

  • KP1, Rector et SEAC pour avoir mis en œuvre à l’échelle nationale une entente ayant pour but de se répartir les volumes de chantiers en faussant la concurrence lors des procédures d’appels d’offres lancées par les entreprises de construction. KP1, Rector, SEAC, Strudal, A2C, FB, L’Industrielle du béton (IB), Saint-Léonard Matériaux (SLM), Soprel sont également sanctionnées pour avoir décliné cette stratégie nationale au sein de plusieurs régions.
  • KP1 et Rector et pour avoir mis en œuvre une entente relative aux taux de hausse des tarifs applicables aux négoces et aux constructeurs de maisons individuelles.
  • KP1, Eurobéton France et Strudal pour s’être partagé des informations sensibles dans le cadre d’appels d’offres relatifs à des chantiers de charpentes en béton.
  • KP1 et la Société de préfabrication de Landaul (SPL) pour avoir mis en œuvre une entente bilatérale sur les prix et sur la répartition de clientèle.  

Il est à noter que l’Autorité a infligé à Eurobéton France une amende supplémentaire de 75 000 euros pour obstruction à l’instruction, l’entreprise ayant fourni une information erronée à une demande d’information des services d’instruction et n’ayant corrigé cette erreur qu’après la notification des griefs.

Infographie

Des pratiques révélées par l’intermédiaire des perquisitions pénales

Les pratiques en cause dans la présente affaire ont été révélées notamment grâce à des perquisitions pénales réalisées sous le contrôle d’un juge d’instruction.   

L’enquête pénale a été réalisée à la suite d’un signalement de la rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence, elle-même informée par un signalement de la DGCCRF, sur la base d’un indice de la BIEC de Lille.

Ce signalement auprès du procureur de la République a conduit le magistrat instructeur à procéder notamment à des interceptions d’échanges téléphoniques et à la réalisation en 2018 des perquisitions dans les locaux de plusieurs sociétés incriminées ainsi qu’à l’Hôtel Mercure de Roissy, où se tenait une réunion entre des représentants de plusieurs sociétés impliquées dans les pratiques poursuivies.

À la suite de ces perquisitions, l’Autorité a reçu de la part de KP1 puis de Rector deux demandes de clémence. Ces dernières ont conduit l’Autorité à se saisir d’office des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits préfabriqués en béton et à demander au juge d’instruction la communication des pièces de ce dossier ayant un lien direct avec les faits mentionnés dans sa saisine.

La mise en place de quatre ententes dans le secteur des produits préfabriqués en béton

L’exploitation des pièces issues de l’enquête pénale, les déclarations et les pièces versées par les demandeurs de clémence ont permis de sanctionner quatre ententes.

1ère entente : les éléments préfabriqués en béton (prédalles, dalles alvéolaires) vendus aux entreprises de construction

  • Le pilotage national de l’entente

L’instruction menée par l’Autorité et les éléments recueillis lors des perquisitions et des interceptions téléphoniques ont permis à cette dernière de déceler une entente nationale entre les entreprises KP1, Rector et SEAC. Cette entente permettait aux parties de fixer ensemble les prix de vente des produits préfabriqués en béton et de se répartir les volumes de chantiers en faussant la concurrence lors des procédures d’appels d’offres lancées par les entreprises de construction.

Pour s’entendre, les parties participaient à des réunions secrètes organisées dans le cadre de différents groupements dont l’objectif, la promotion des produits préfabriqués en béton, était détourné. Les discussions entre les concurrents au cours des réunions multilatérales prenaient la forme de « tours de table ». Lors de ces réunions, les parties s’échangeaient des informations relatives aux volumes de ventes réalisées auprès des entreprises de construction au niveau national et par région, et fixaient les quotas de vente à respecter par région.

Pour suivre la répartition des marchés, les directions nationales des parties compilaient leurs échanges dans des tableaux, qui étaient transmis ensuite aux échelons régionaux pour la mise en œuvre de l’entente au niveau local. Les deux demandeurs de clémence ont précisé que ces tableaux comportaient des codes permettant de dissimuler le nom des entreprises et la teneur des discussions anticoncurrentielles.

  • Les déclinaisons régionales de l’entente, en particulier en Ile-de-France

Les pratiques ont été mises en œuvre sur la majeure partie du territoire national selon des caractéristiques et des modalités qui ont pu varier selon les régions concernées. Dans certaines régions, plusieurs acteurs locaux ont rejoint l’entente mise en œuvre par KP1, Rector et SEAC.

Pour l’Ile-de-France et ses régions limitrophes (Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Champagne-Ardenne) en particulier, l’Autorité constate que les trois acteurs mis en cause ont collaboré avec A2C, FB, IB, SLM, Studal et Soprel. Ici encore, les éléments figurant au dossier attestent de l’existence de grilles de prix minimum sur les produits préfabriqués en béton et d’échanges d’informations sur les prix de ces produits entre concurrents. À l’instar des échanges intervenant au niveau national, les membres participant aux réunions régionales utilisaient des noms de codes pour dissimuler le caractère illégal de leurs pratiques.  L’interruption sur le vif d’une réunion qui se déroulait dans un hôtel francilien a permis à l’Autorité de constater l’existence de tableaux de répartition de marchés et d’accords entre les entreprises présentes lors de cette réunion.

Outre ces réunions physiques, l’Autorité constate que l’entente se prolongeait lors d’échanges bilatéraux notamment par téléphone durant lesquels les parties s’assuraient que chacun respectait les accords décidés ensemble lors des tours de table. Les éléments du dossier attestent de l’existence de plus d’une centaine d’échanges téléphoniques bilatéraux entre les membres de l’entente en Ile-de-France et ses régions limitrophes. Ces pratiques avaient également cours dans d’autres régions concernées par l’entente. Ainsi, à titre d’exemple, un directeur régional dans le Sud-Ouest communiquait avec ses concurrents via un téléphone jetable. Le concurrent faisait sonner une à deux fois le téléphone professionnel du directeur régional, qui comprenait alors que son téléphone jetable devait être allumé afin de pouvoir correspondre avec son concurrent.

2ème entente : les éléments préfabriqués en béton vendus aux constructeurs de maisons individuelles et aux négoces

KP1 et Rector ont également mis en œuvre au niveau national pendant sept ans une entente relative aux taux de hausse des tarifs applicables aux négoces et aux constructeurs de maisons individuelles. Ces échanges avaient lieu généralement au moment des hausses annuelles ou lors des hausses du prix des matières premières. Ces échanges avaient lieu entre les directions de KP1et Rector à l’occasion de réunions ou de discussions téléphoniques. La mise en œuvre des décisions prises au niveau national était assurée par les directions régionales.

KP1 et Rector se sont également entendus sur les prix nets et certaines conditions commerciales accordées aux négoces, sur les volumes des ventes aux négoces, ainsi que sur la répercussion des hausses de tarifs sur les prix pratiqués auprès des CMI.

3ème entente : les chantiers de charpentes en béton

L’instruction menée par l’Autorité a permis de constater que KP1, Eurobéton France et Strudal se sont échangé des informations sensibles dans le cadre d’appels d’offres. Ces échanges se sont déroulés de 2011 à 2018 malgré une pause entre 2013 et 2016. L’entente prenait la forme d’échanges d’informations sensibles sur les prix.

L’Autorité relève que ces échanges d’informations sont intervenus avant la date à laquelle le résultat de ces appels d’offres pouvait être connu, dans des circonstances qui ont nécessairement vicié les réponses des mises en cause, en affectant leur autonomie. De tels échanges ont altéré le libre jeu de la concurrence.

4ème entente : une entente bilatérale entre KP1 et la Société de Préfabrication de Landaul (SPL)

En 2010, KP1 et SPL ont conclu plusieurs accords comportant notamment l’acquisition par KP1 de 10 % du capital de SPL et des contrats de fourniture et d’approvisionnement, de prestation de services techniques et de transport et d’assistance technique. Ces contrats comportaient une clause d’exclusivité des produits de SPL au bénéfice de KP1 et une clause de non débauchage, réduisant dès lors la liberté commerciale des parties. En outre, l’Autorité a constaté que pour la commercialisation de prémurs fabriqués par SPL, les parties échangeaient régulièrement afin de déterminer le prix de leurs prestations et de se répartir les clients.  KP1 et SPL ont par exemple élaboré un tableau de répartition de clients, qui était régulièrement mis à jour à l’occasion de réunions ou d’échanges téléphoniques. S’agissant de l’entente sur les prix, le demandeur de clémence a indiqué que les « pratiques concertées visaient à s’échanger des informations relatives aux hausses de prix et aux prix de revente proposés à leurs clients respectifs sur les produits et leurs inserts ».

L’Autorité a considéré que les clauses contractuelles et les échanges réguliers mis en place par les entreprises dans ce cadre, en ce qu’ils leur ont permis de décider en commun de tous les aspects de la vie économique de SPL, constituent une pratique anticoncurrentielle, contraire à l’article L. 420-1 du code de commerce. L’Autorité a considéré que l’article 101 du TFUE n’était pas applicable pour qualifier cette entente, compte tenu de l’absence d’affectation du commerce entre États membres.

Au total, les sanctions  s’élèvent à 76 645 000 euros  

Entreprise Montants
KP1 19 040 000 €
Strudal 3 910 000 €
A2C 6 390 000 €
FB 550 000 €
IB 3 110 000 €
Rector 25 450 000 €
dont Rector Lesage 21 440 000 €
dont Planchers Fabre 4 010 000 €
SEAC 10 990 000 €
SLM 2 840 000 €
Soprel 150 000 €
Eurobéton France 3 445 000 € (dont 75 000 € pour obstruction)
SPL 770 000 €
TOTAL 76 645 000 €

La mise en place de quatre ententes dans le secteur des produits préfabriqués en béton conduit l’Autorité à prononcer une sanction globale de 76 645 000 euros repartie entre onze entreprises. Cette sanction globale prend notamment en compte la décision de l’Autorité d’accorder à KP1 et à Rector une réduction d’amende au titre de la clémence et de sanctionner spécifiquement et à titre supplémentaire la société Eurobéton France (75 000 euros) pour obstruction à l’instruction. En effet, Eurobéton France avait transmis une information erronée en réponse à une demande d’information des services d’instruction et n’avait corrigé cette erreur qu’après l’envoi de la notification de griefs, dans le cadre de ses observations en réponse à cette dernière.

L’Autorité prononce un non-lieu envers le cabinet Fidal

Les services d’instruction ont adressé au cabinet Fidal, un grief dans lequel il lui était reproché d’avoir joué un rôle de facilitateur de l’entente en prodiguant à ses clients des conseils visant à dissimuler ces pratiques. En particulier, les services d’instruction reprochaient à Fidal d’avoir dispensé une formation sur le droit de la concurrence aux membres de la FIB durant laquelle Fidal aurait délivré des conseils pour dissimuler les preuves de comportements concurrentiels.

Toutefois, si l’Autorité note que bien que cette présentation fournit des conseils précis à une entreprise en vue de la dissimulation de moyens de preuve de comportements potentiellement anticoncurrentiels qui pourraient relever de la qualification de facilitation d’entente ou d’obstruction à la détection de pratiques anticoncurrentielles, il convient de relever qu’il ne permet pas, à lui seul, de démontrer que Fidal avait effectivement connaissance de l’existence d’une entente entre des entreprises membres de la FIB. En outre, la formation s’étant déroulée en 2007, l’Autorité ne peut, compte tenu de la prescription décennale, sanctionner une éventuelle pratique anticoncurrentielle démontrée par le support de formation.

Informations aux entreprises :

Pourquoi demander la clémence ?

Si votre entreprise participe ou a participé à une entente, elle peut échapper à une sanction élevée en dénonçant cette infraction et en fournissant à l’Autorité des éléments de preuve.

Vous agissez ainsi dans votre propre intérêt. En effet, ne pas prendre l’initiative de dénoncer une infraction dont vous expose à un double risque :

  • celui de l’action d’un tiers (une entreprise concurrente, un ancien salarié…) qui viendrait dévoiler l’infraction à l’Autorité de la concurrence
  • celui d’une enquête déclenchée par l’Autorité (avec éventuellement  des opérations de visite et saisie).

L’immunité totale d’amende s’applique à l’entreprise qui est la première à s’adresser à l’Autorité de la concurrence, d’où l’intérêt d’agir sans tarder dès lors que l’on a connaissance de l’entente.

Les autres entreprises parties à l’entente, qui ne s’adressent que dans un deuxième temps à l’Autorité, ne peuvent, quant à elles, bénéficier que d’une immunité partielle d’amende (selon leur rang d’arrivée) et seulement à la condition qu'elles apportent des éléments d'informations et de preuves nouveaux par rapport à ceux dont dispose déjà l'Autorité.  

Il est possible d’adresser une demande de clémence directement sur le site internet de l’Autorité sur ce lien.

Contact(s)

Maxence Lepinoy
Maxence Lepinoy
Chargé de communication, responsable des relations avec les médias
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