Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence (ci-après, « l’Autorité ») sanctionne Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Limited et Google France (ci-après, « Google ») à hauteur de 250 millions d’euros, pour ne pas avoir respecté les engagements rendus obligatoires par la décision n° 22-D-13 du 21 juin 2022 (ci-après, la « Décision d’Engagements »). Ces engagements concernent les modalités d'application par Google de la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019, qui vise à établir un droit voisin au bénéfice des agences et des éditeurs de presse. Leur objectif est de rétablir l'équilibre des forces entre les différents acteurs de la presse et Google, en instaurant un cadre de négociation contraignant et adapté aux spécificités du secteur.
Dans la présente décision, l’Autorité conclut que Google n’a pas respecté les engagements n° 1, 2, 4 et 6 de la Décision d’Engagements.
En premier lieu, l’Autorité considère que Google n’a pas respecté son obligation de négocier une offre de rémunération pour la reprise de contenus de presse protégés sur ses services selon des critères transparents, objectifs et non-discriminatoires dans un délai de trois mois (engagements n° 1 et 4) et n’a pas communiqué de manière complète les informations nécessaires aux éditeurs et agences de presse pour mener à bien une négociation avec elle (engagement n° 2).
L’Autorité relève à cet égard que Google a non seulement manqué de diligence dans la transmission de ses notes méthodologiques, mais également que celles-ci revêtent un caractère opaque et ne permettent pas aux parties négociantes de reconstituer les propositions financières de Google. En outre, Google n’a pas communiqué l’ensemble des informations devant être transmises aux parties négociantes au titre de la Décision d’Engagements. Du fait de cette série de manquements, Google a pu maintenir les parties négociantes dans une situation d’asymétrie d’informations, et de ce fait obérer leur capacité de négociation alors que les engagements visaient précisément l’inverse.
L’Autorité considère par ailleurs que Google a réduit l’assiette de rémunération des éditeurs et agences de presse en contrevenant aux principes de la Décision d’Engagements :
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d’une part, Google a sous-évalué les revenus indirects résultant de l’attractivité apportée aux services de Google par l’affichage de contenus de presse protégés. L’Autorité relève à cet égard que Google a cantonné ces revenus indirects à une part marginale dans la détermination de ses propositions financières, alors qu’il ressort de la Décision d’Engagements que ceux-ci constituent la part la plus importante des revenus résultant de l’affichage de contenus de presse protégés sur les services de Google ;
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d’autre part, Google a exclu toute forme de rémunération pour l’affichage de titres d’articles de presse, ce qui n’est pas conforme aux décisions antérieures de l’Autorité et à la jurisprudence de la cour d’appel à laquelle se réfère la Décision d’Engagements.
L’Autorité relève, par ailleurs, que Google n’a donné aucune traduction contractuelle à l’engagement de mise à jour de la rémunération et, le cas échéant de régularisation de celle-ci dans la majorité des contrats signés avec les éditeurs depuis l’entrée en vigueur des engagements, ou uniquement de manière partielle.
En deuxième lieu, l’Autorité a constaté plusieurs autres manquements de Google à la suite du lancement de son service d’intelligence artificielle Bard, dorénavant dénommé Gemini.
L’Autorité constate d’abord que Google a manqué à l’obligation de transparence prévue par le premier engagement, en ne tenant pas informé les éditeurs et agences de presse de l’utilisation de leurs contenus par Bard.
L’Autorité estime ensuite que Google ne s’est pas conformée au sixième engagement concernant l’obligation de neutralité des négociations relatives aux droits voisins sur toute autre relation économique qu’entretiendrait Google avec les éditeurs et agences de presse. L’Autorité constate que Google n’a pas proposé de solution technique permettant aux éditeurs et agences de presse de s’opposer à l’utilisation de leur contenu par Bard (solution dite d’« opt-out »). Les éditeurs et agences de presse souhaitant s’opposer à cette utilisation devaient insérer une instruction s’opposant à toute indexation de leur contenu par Google, y compris sur les services Search, Discovery et Google Actualités qui faisaient précisément l’objet d’une négociation au titre de la rémunération des droits voisins. Ce faisant, Google a lié l’utilisation des contenus des éditeurs et agences de presse par son service d’intelligence artificielle à l’affichage des Contenus protégés, obérant la capacité des éditeurs et agences de presse à négocier une rémunération au titre de l’Engagement 1.
En troisième lieu, l’Autorité considère que Google ne s’est pas conformée à son obligation de coopération avec le mandataire, en s’abstenant de lui communiquer toutes les informations nécessaires pour lui permettre d’exercer sa mission de contrôle des engagements.
Conformément à sa pratique décisionnelle, l’Autorité considère que les manquements constatés sont graves, la prise d’engagements ayant lieu à l’initiative des parties mises en cause qui les proposent.
Google a sollicité de l’Autorité le bénéfice de la procédure de transaction, en application du III de l’article L. 464-2 du code de commerce. Conformément à cette procédure, Google n’a pas contesté les manquements qui lui étaient reprochés. La mise en œuvre de cette procédure a donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal, fixant le montant maximal et minimal de la sanction pécuniaire qui pourrait être infligée par l’Autorité.
Google a, par ailleurs, proposé des mesures correctives en vue de corriger les manquements identifiés par les services d’instruction.
Ces mesures, dont l’Autorité prend acte, ne modifient pas les engagements et n’exonèrent en aucun cas Google de se conformer pleinement à la Décision d’Engagements.
L’Autorité, après avoir examiné l’ensemble des faits du dossier, a estimé qu’il y avait lieu de prononcer une sanction à l’encontre de Google d’un montant compris dans la fourchette figurant dans le procès-verbal de transaction, de 250 millions d’euros.