Dans le cadre de la lutte contre la vie chère, le ministre de l'économie et des finances a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis concernant la situation concurrentielle sur les marchés de matériaux de construction à La Réunion et à Mayotte.
Cette saisine fait suite à une proposition des députés E. Bareigts et D. Fasquelle de décembre 2015, elle-même reprise par le rapport Lurel de mars 2016. Dans son avis, l'Autorité propose des solutions visant à réduire le coût de la construction des logements sociaux - un secteur sous tension compte tenu de la pression démographique - et des ouvrages d'art publics, comme la route du littoral à La Réunion.
Un constat préoccupant : les prix des matériaux de construction plus élevés de 39 % à la Réunion et de 35 % à Mayotte par rapport à la métropole
Les matériaux de construction sont ceux utilisés pour la construction ou la réhabilitation de logements tels que le ciment, les granulats, l’enduit de façade, le bois de charpente, les tôles de toiture ou les carreaux de céramique.
Rejoignant les travaux déjà conduits par les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) et les services déconcentrés de la DGCCRF, l’Autorité a relevé que les prix des matériaux de construction sont en moyenne 39 % plus élevés à La Réunion par rapport à la métropole et de 35 % plus élevés à Mayotte, soit une différence bien plus importante que celle constatée pour le niveau général des prix (+ 7 %).
Pour plus de détails sur les coûts par matériaux, voir les tableaux p. 10 à 15 de l’avis.
Ces prix élevés ont un impact économique important dans la mesure où les matériaux de construction représentent près du tiers du coût de la construction d’un logement dans ces territoires. En réduisant leur niveau à celui de la métropole, ce coût baisserait donc de 12 % en moyenne. La question est cruciale dans un contexte de crise du logement et d’accroissement démographique dans les territoires concernés.
1. Les raisons expliquant ces différences de prix
Dans les départements et régions d’Outre-mer (DROM), la petite taille des marchés et leur éloignement des principales sources d’approvisionnement sont des obstacles naturels à l’obtention de prix comparables à ceux observés en métropole.
Cependant, ces spécificités ne suffisent pas à expliquer, à elles seules, l’importance des écarts de prix constatés entre la métropole et les DROM. D’autres éléments expliquent également cet écart comme le transport, les difficultés de stockage, la réglementation applicable à la construction et le degré élevé de concentration de certains marchés.
Le transport et le stockage, des postes de coûts importants
La grande majorité des matériaux de construction étant importés (380 millions de tonnes à La Réunion en 2014), le transport représente une part importante de leur coût, d’autant qu’ils sont pondéreux et volumineux.
Mais une fois sur place, un autre problème se pose : celui du stockage. En effet, l’économie des DROM se heurte à une problématique commune de rareté du foncier, laquelle se traduit par un manque de locaux de stockage, entraînant un gonflement des loyers commerciaux qui se répercutent sur le prix des matériaux.
> À titre d’exemple, les locaux de stockage à Mayotte sont proposés à des loyers d’environ 25 euros/m², contre 7 à 10 €/m² en petite couronne parisienne.
L’Autorité a par ailleurs relevé que certaines entreprises détiennent des terrains sans les exploiter, entraînant un gel du foncier et un renchérissement de son coût.
Des normes inadaptées aux spécificités outre-mer
Il apparaît aux termes de l’examen mené par l’Autorité que les contraintes techniques des chantiers de construction et les normes imposées sont élevées et parfois inadaptées aux habitudes de vie ou au climat tropical de ces territoires renchérissant le coût de la construction.
> À titre d’exemple, les normes d’isolation phoniques paraissent peu pertinentes dans des zones tropicales où les portes et fenêtres des habitations non climatisées peuvent rester ouvertes une grande partie de la journée compte-tenu de la douceur du climat.
L’exigence de certification dans les matériaux utilisés génère, pour sa part, une forte dépendance des territoires ultramarins aux importations européennes et en provenance de métropole afin de respecter les exigences de certification CE ou NF. Ainsi, beaucoup des produits importés doivent passer par l’Union européenne afin d’y obtenir la certification.
Des marchés très concentrés autour de groupes intégrés
Il ressort de l’instruction qu’à La Réunion et Mayotte un nombre restreint d’acteurs (oligopole) opèrent dans les circuits d’approvisionnement et de distribution des matériaux. Ces opérateurs sont par ailleurs intégrés, c’est-à-dire présents à tous les niveaux de la chaîne de valeur, de la fabrication à la distribution, situation qui ne prédispose pas à une vive animation concurrentielle du marché et rend difficile l’accroissement des parts de marché des concurrents.
> A La Réunion les distributeurs de matériaux de construction et les exploitants de magasins de bricolage d’enseignes locales ou nationales sont peu nombreux.
> De même, à Mayotte, des importateurs-distributeurs sont présents sur toute la chaine de valeur.
Cette faible animation concurrentielle se constate dans les niveaux de marges commerciales des différents matériaux de construction. A La Réunion, ils peuvent représenter jusqu’à 80 % ou 100 % voire au-delà selon une étude de la Dieccte. Ainsi, les taux de marge dans le ciment peuvent aller jusqu’à 90 % et ils sont en moyenne de 80 % dans les carreaux de céramique (pour plus de détails, voir § 189 à 194)
2. Les recommandations de l’autorité
Simplifier la normalisation et la certification
- Adapter les normes aux contraintes locales
Si plusieurs actions ont été engagées par les pouvoirs publics, il est nécessaire de réaliser une révision ambitieuse du système normatif pour adapter les normes à ces territoires.
L’Autorité propose d’analyser tant l’opportunité « ultramarine » d’une norme ou d’une réglementation que son efficacité au regard des particularités des îles de La Réunion et de Mayotte. Au terme de cette analyse, il s’agira de décider soit de la conserver, soit de la modifier, soit de la supprimer.
- Faciliter la certification par équivalence et la certification sur place
En l’absence d’organismes de certification des matériaux au niveau local, le recours aux matériaux certifiés CE ou NF renforce la dépendance de La Réunion et Mayotte aux importations en provenance de métropole ou de l’Union Européenne, limitant d’autant l’offre de produits étrangers potentiellement moins coûteux et l’emploi de matériaux locaux.
Aussi, l’Autorité suggère de mettre en place un système de certification par équivalence sur le modèle d’un tableau de correspondance entre produits de normes CE et produits étrangers réputés de qualité équivalente.
Cette solution présente l’avantage de réduire les coûts de fabrication et de transport et facilite le recours aux importations dans l’environnement régional proche.
De la même façon, l’Autorité souhaite que soit permise la certification sur place des matériaux par l’implantation d’antennes locales de bureaux de certification nationaux et l’accréditation de structures locales capables de réaliser des tests de performance.
Agir sur la structure du marché
- Faire entrer de nouveaux acteurs et renforcer les petits opérateurs
La capacité ou l’incapacité d’un marché à accueillir de nouveaux entrants joue un rôle essentiel dans la formation des prix comme l’illustrent les marchés du ciment à Mayotte et à La Réunion, et celui du bois à La Réunion. Ainsi à La Réunion, l’arrivée d’un 3ème importateur de ciment a conduit à une réduction des prix de vente. Dans le secteur du bois, le développement des « petits-importateurs » au cours des trois dernières années a également conduit à une baisse des prix des principaux acteurs du marché, même si elle est demeurée limitée. De telles évolutions de marché doivent être encouragées.
- Mutualiser les espaces de stockage et d’achat de matériaux
Dans la mesure où il n’est pas toujours économiquement rentable pour un opérateur de s’approvisionner seul, la mutualisation de la logistique, pour l’approvisionnement et le stockage en particulier, peut dans certains cas être un système approprié.
Aussi, l’Autorité recommande d’engager le développement de structures de mutualisation des achats de matériaux de construction et de centre de stockage départementaux (pour plus de détails, voir p. 59 et suiv.)
- Mettre en place une filière d’importation directe de ciment depuis l’île Maurice
Une étude réalisée par la CCI de la Réunion indique que le prix à la tonne du ciment était de 90 € à l’île Maurice contre 210 € à la Réunion. De nouveaux acteurs, qui se sont développés à l’île Maurice, pourraient commercialiser du ciment à La Réunion, distante de seulement 230 km par la mer.
Mettre à l’étude le développement d’une filière d’importation en provenance de l’île Maurice, en se concentrant dans un premier temps sur le ciment, matière essentielle au secteur de la construction, sous réserve du respect des normes européennes ou de normes équivalentes (pour plus de détails, voir p. 58 et 59).
- Favoriser le développement des filières locales de matériaux
La grande majorité des matériaux étant importés, une solution consisterait à les limiter en développant la production sur place de certains matériaux.
Le développement des filières locales pour la production des matériaux de construction permettrait de limiter l’importation, facteur important de surcoût, et accompagnerait la naissance de filières, créatrices d’emplois et de savoir-faire locaux A cet égard, les isolants biosourcés et les briques de terre compressées mahoraises apparaissent comme prometteurs (pour plus de détails, voir p. 56).
Favoriser une meilleure information sur la formation des prix
- Améliorer la transparence sur les coûts et les prix et développer l’information statistique
Il apparaît indispensable d’améliorer la connaissance des marchés par les pouvoirs publics, notamment les différents prix de gros et de détail pratiqués et le niveau des marges. Pour cela, l’obligation de publication des comptes sociaux des acteurs doit être une priorité. Pour les éléments plus détaillés, couverts par le secret des affaires, il pourrait être envisagé une séparation fonctionnelle entre les services techniques et les membres de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) eux-mêmes, qui n’auraient accès qu’à des données agrégées.
Dans son avis, l’Autorité évoque d’autres pistes, notamment une régulation des prix pour les granulats et le béton à Mayotte (pour plus de détails, voir pages 63 et suivantes).