L’Autorité de la concurrence publie l’avis qu’elle a rendu au gouvernement sur le projet de loi de réforme ferroviaire
L'Autorité de la concurrence émet plusieurs recommandations afin de mieux concilier la logique d’intégration industrielle, qui sous-tend la création du groupe public ferroviaire, avec le nécessaire respect de l’équité concurrentielle.
L’Autorité de la concurrence a transmis au gouvernement, le 4 octobre 2013, l’avis sur le projet de loi ferroviaire qu’il lui avait transmis pour examen. Le projet de loi, qui intègre à ce stade un petit nombre de recommandations faites par l’Autorité de la concurrence, a été adopté par le conseil des ministres le 16 octobre 2013.
Dans son avis très détaillé, qu’elle rend public aujourd’hui, l’Autorité de la concurrence formule une douzaine de recommandations afin que la réforme, tout en permettant l’intégration industrielle du groupe public, soit accompagnée de garanties, notamment sur l’indépendance du gestionnaire du réseau ferroviaire et l’égalité d’accès au réseau.
Une réforme en profondeur du système ferroviaire français
Cette nouvelle organisation, proche de celle d’un groupe de sociétés verticalement intégré, appelle plusieurs observations de la part de l’Autorité de la concurrence afin que la réforme puisse permettre de concilier les efficiences économiques attendues et la nécessaire préservation de la concurrence. Elle considère qu’il est possible de relever ce défi si trois principes sont respectés.
1. SNCF Réseau, pièce centrale du dispositif, doit voir son périmètre d'intervention élargi et son indépendance renforcée
Les objectifs d’intégration industrielle et de concurrence peuvent se rejoindre et produire leurs pleins effets si le renforcement du gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau est mené jusqu’à son terme et si son indépendance est préservée.
Le projet de loi confie les missions de gestion d’infrastructure pour le réseau ferré national à la seule entité SNCF Réseau. Il met ainsi fin à la situation actuelle par laquelle la gestion du réseau ferré national est mise en oeuvre par un gestionnaire d’infrastructure, RFF, et un gestionnaire d’infrastructure délégué, la SNCF. La nouvelle organisation renforcera la transparence dans l’organisation du secteur ferroviaire. Ceci est bienvenu au regard de l’actuelle répartition des compétences entre la SNCF et RFF, qui manque aujourd’hui de clarté.
Les gares et infrastructures de service doivent être transférées à SNCF Réseau
Le périmètre de compétence du gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau se limite au réseau ferré national. L’opérateur historique demeure donc le gestionnaire de la majeure partie des gares en France ainsi que des infrastructures de services. L’Autorité de la concurrence regrette ce statu quo.
En effet, comme elle l’avait déjà souligné en 2009 (voir avis 09-A-55 du 4 novembre 2009 sur le secteur du transport public terrestre de voyageurs et le communiqué de presse), les gares de voyageurs revêtent toutes les caractéristiques d’une infrastructure essentielle dont l’accès doit être garanti de façon non discriminatoire et transparente pour les entreprises ferroviaires. Sans accès aux gares et aux infrastructures de service, ou à des conditions discriminatoires, le développement de la concurrence se trouverait amoindri. (Ces risques d’accès discriminatoire aux infrastructures ne sont pas hypothétiques. Dans le secteur du fret, l’Autorité de la concurrence a sanctionné, fin 2012, la SNCF pour avoir notamment empêché ses concurrents d’accéder à des capacités ferroviaires indispensables à leur activité).
L’Autorité de la concurrence souhaite donc que les infrastructures de service (cours de marchandises, gares de triage, installations d’approvisionnement en électricité de traction...) utilisées par le fret ferroviaire, déjà ouvert à la concurrence, soient transférées immédiatement à SNCF Réseau. Les gares devraient suivre le même mouvement : l’Autorité n’est pas hostile à une certaine progressivité mais souligne que le transfert devrait intervenir au plus tard en 2019, date d’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires de voyageurs (recommandations 1a et 1b).
SNCF Réseau serait ainsi un véritable "guichet unique" pour les demandes en capacités ferroviaires des entreprises ferroviaires, de l’attribution des sillons jusqu’aux services rendus en gares, qu’il s’agisse des transports de voyageurs ou du fret. Ceci renforcerait l’efficacité du système ferroviaire en général.
Le renforcement des mesures visant à garantir concrètement l’impartialité et l’indépendance de SNCF Réseau et de son conseil d’administration
L’Autorité de la concurrence estime que la gouvernance prévue présente certaines lacunes, concernant notamment la composition du conseil d’administration de SNCF Réseau et la nomination de ses membres.
Le président du conseil d’administration est une des clés de voûte de la gouvernance de SNCF Réseau. Actuellement, le projet de loi prévoit que le régulateur, l’ARAF, pourrait s’opposer à une nomination d’une personnalité uniquement si cette dernière, au moment où¹ elle prend ses fonctions de président de SNCF Réseau, a des intérêts dans une entreprise ferroviaire ou une de ses filiales.
Cette absence de conflit d’intérêt est à l’évidence nécessaire mais insuffisante pour garantir l’indépendance du président de SNCF Réseau.
L’Autorité de la concurrence recommande de renforcer les conditions d’indépendance du président de SNCF Réseau en dotant l’ARAF du pouvoir d’émettre un avis motivé et public sur la ou les personnalité(s) proposée(s) (recommandation 2).
En ce qui concerne les autres membres du conseil d’administration, aucune référence à une interdiction de prise de d’intérêts ne semble exister. Or il est indispensable que l’ensemble du conseil d’administration soit neutre.
Une clarification est nécessaire pour étendre à tous les membres du conseil d’administration de SNCF Réseau cette interdiction de prise d’intérêts ou de responsabilités dans une entreprise ferroviaire, une filiale ou une société contrôlant une entreprise ferroviaire (recommandation 3a).
L’Autorité de la concurrence recommande également que les mêmes personnes ne puissent siéger aux conseils d’administration de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités (recommandation 3b).
Les mesures de sauvegarde doivent être étendues à l’ensemble des missions de SNCF Réseau
Enfin, des mesures internes d’organisation sont prévues pour garantir de façon concrète l’indépendance et l’impartialité de SNCF Réseau vis-à-vis des entreprises ferroviaires (limitation de la mobilité des cadres dirigeants des entreprises ferroviaires vers SNCF Réseau par le moyen d’une saisine de la commission de déontologie du ferroviaire, exigences matérielles d’indépendance en termes de séparation des locaux et des systèmes d’information...).
L’Autorité observe que la plupart des mesures envisagées est limitée à la fonction de répartition et de tarification des sillon (la répartition des sillons consiste à tracer le graphique de circulation et à établir l’horaire de service d’un train) alors que l’ensemble des missions de gestion d’infrastructure sont largement interpénétrées et demandent, entre elles, un dialogue important. Par exemple, la répartition des sillons n’est pas déconnectée de l’activité d’entretien du réseau, qui est en charge de l’exécution des travaux et rend ainsi certains sillons indisponibles en pratique.
L’Autorité de la concurrence considère que les mesures de sauvegarde doivent être étendues à l’ensemble des missions de SNCF Réseau (recommandation 4).
2. Clarifier le périmètre et les missions de l'EPIC detête
Préserver l’indépendance de SNCF Réseau
Les missions dévolues à l’EPIC detête (SNCF) sont définies de façon particulièrement large et leur périmètre exact est sujet à interprétation. Il apparaît que l’EPIC detête n’a pas uniquement pour fonction d’exercer les prérogatives classiques d’une société holding (missions d’intégration fiscale et économique) mais a vocation à exercer en propre des fonctions de nature opérationnelle.
Cette définition peu précise de ses missions fait courir un risque important que certaines prérogatives touchant à la gestion de l’infrastructure ferroviaire en France soient de facto exercées par l’EPIC detête, entraînant un risque important de perte d’autonomie décisionnelle pour SNCF Réseau.
Afin de clarifier cette situation, l’Autorité de la concurrence recommande que soit incluse dans la loi une interdiction explicite pour l’EPIC detête d’exercer des fonctions opérationnelles de gestion d’infrastructure afin de garantir l’indépendance de SNCF Réseau (recommandation 6a).
Préciser les missions l’EPIC detête et adapter la gouvernance pour les missions exercées au profit de l’ensemble du secteur
Le projet de loi n’apporte aucune précision sur la répartition des missions dites "internes" (c’est-à-dire exercées au seul profit des EPIC constituant le GPF) et "externes" (c’est-à-dire exercées au profit de l’ensemble des acteurs du secteur ferroviaire). Dans ces conditions, il existe un risque que l’EPIC detête endosse des responsabilités d’intégration industrielle du système ferroviaire dans son ensemble sans garantie d’indépendance et d’objectivité.
Cette situation soulève une question d’opacité du système, concernant, d’une part, le rôle de l’EPIC detête dans ses missions exercées au profit de tous et concernant, d’autre part, la capacité d’influence particulière de l’opérateur historique de transport pour la prise de décisions structurantes pour l’ensemble des opérateurs ferroviaires.
L’Autorité recommande que pour ses missions "externes", le périmètre de l’EPIC detête devrait être limité à une fonction de décideur stratégique (recommandation 6b)
Un décret devrait préciser la liste de ces missions. (recommandation 7a)
De plus, le directoire de l’EPIC detête est uniquement composé des présidents de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités. Il ne peut donc être exclu que des choix soient faits au seul avantage de l’opérateur historique sans prise en compte du point de vue des autres opérateurs ferroviaires ou des intérêts des autres acteurs du secteur.
L’EPIC detête ne peut cumuler des missions "externes" et une gouvernance fermée sans que soit remise en cause la neutralité des décisions stratégiques prises.
Pour les décisions prises dans le cadre de ses missions "externes", l’Autorité de la concurrence recommande que soit recueilli l’avis de l’ensemble des parties prenantes avant toute prise de décision Cette consultation pourrait prendre la forme d’un avis motivé du Haut comité du ferroviaire, instance de concertation entre toutes les parties prenantes du secteur qui a vocation à se prononcer et à orienter les grandes évolutions du secteur ferroviaire (recommandation n° 8a).
Doter l’ARAF d’un pouvoir d’auto-saisine pour émettre un avis motivé avant toute prise de décision sur les missions "externes" (recommandation 8b).
3. Renforcer la régulation sectorielle
Doter l’ARAF de pouvoirs plus importants
L’Autorité de la concurrence rappelle que la régulation sectorielle est un élément clé pour accompagner les différentes phases d’ouverture à la concurrence d’un secteur économique antérieurement sous monopole.
Elle se félicite que certaines dispositions du projet de loi renforcent l’indépendance de l’ARAF (professionnalisation du collège) mais elle regrette que le projet de loi retire au régulateur le pouvoir d’émettre un avis conforme sur la fixation des redevances d’infrastructure liées à l’utilisation du réseau ferré national ("péages ferroviaires").
Cette modification prive l’ARAF d’un des pouvoirs les plus importants dont elle dispose à l’heure actuelle.
L’Autorité de la concurrence recommande de maintenir l’avis conforme de l’ARAF en matière de tarification d’accès au réseau ferré national (recommandation 11a) et de prévoir également un avis conforme en matière de tarification d’accès et de services rendus dans les gares de voyageurs et les infrastructures de services (recommandation 11b).
Le Haut comité ferroviaire
Le Haut comité ferroviaire est une instance de concertation entre l’ensemble des parties prenantes du secteur, qui a vocation à se prononcer et à orienter les grandes évolutions du secteur ferroviaire. Cette concertation entre les parties prenantes sur de grandes questions stratégiques peut être un gage de transparence au profit de tous.
En revanche, la mission de conciliation qui lui est confiée pourrait conduire les parties prenantes du secteur ferroviaire à résoudre entre elles, de façon opaque et sans garantie d’impartialité, les différends qui peuvent les opposer. Elle affaiblirait, de plus, le pouvoir de règlement des différends dont dispose l’ARAF.
L’Autorité recommande que le pouvoir de conciliation confié au Haut comité du ferroviaire soit supprimé de la loi (recommandation n° 9)
Le projet de loi soumis à l’examen de l’Autorité prévoit par ailleurs que le Haut comité ferroviaire approuve un code du réseau qui précise les modalités selon lesquelles sont organisées les relations entre gestionnaires d’infrastructure, gestionnaires d’infrastructures de services, entreprises ferroviaires et autorités organisatrices. Cette "charte de bonne conduite", explicite l’application du document de référence du réseau (DRR), qui décrit les principes et procédures pour l’accès aux infrastructures ferroviaires.
Mais le projet de loi ne précise ni la nature ni le contenu du code. Or il existe un risque important que son contenu chevauche ou réinterprète dans les faits le contenu du DRR privant alors le gestionnaire d’infrastructure de compétences que lui seul doit détenir pour garantir un accès non discriminatoire au réseau.
L’Autorité recommande de clarifier la portée juridique du code du réseau, qui pourrait prendre la forme d’une charte engageant volontairement les acteurs, sans portée normative, afin de préserver l’indépendance de SNCF Réseau et la transparence générale de la régulation sectorielle (recommandation n°10).