L’Autorité de la concurrence a été saisie pour avis en février 2010 par le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi, au sujet du fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la publicité en ligne, en application de l’article L. 462-1 du code de commerce.
Internet occupe une place croissante dans la vie quotidienne des individus et des ménages comme dans la sphère marchande. Les moteurs de recherche, et particulièrement Google sont devenus le point d’entrée de la navigation en ligne. Cette situation centrale a généré des critiques, voire des inquiétudes de la part de nombreux acteurs, dont certains s’estiment victimes de comportements déloyaux voire illicites de la part du moteur de recherche. De manière schématique il s’agit :
- de moteurs de recherche concurrents qui estiment que l’hégémonie de Google résulte de pratiques de fermeture du marché, ou d’acteurs présents sur Internet qui redoutent que les conditions dans lesquelles Google se diversifie sur d’autres marchés ne relèvent pas d’une concurrence par les mérites ;
- de clients annonceurs ou d’éditeurs de sites Internet membres du réseau de syndication publicitaire de Google qui, compte tenu de leur faible pouvoir de négociation, dénoncent des agissements arbitraires et opaques de Google ;
- de la presse, à la fois cliente, partenaire, concurrente et potentiellement fournisseur de Google, qui, outre les griefs déjà mentionnés ci-dessus, s’estime victime de pratiques de parasitisme et de prix prédateurs qui aggraveraient la situation déjà difficile du secteur.
Pour mémoire, la mission « Création et Internet », confiée à MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti, avait fait état de ces inquiétudes dans son rapport remis au ministre de la Culture et de la Communication en janvier 2010 et avait préconisé de saisir pour avis l’Autorité de la concurrence.
L’Autorité estime que Google est en position dominante sur le marché de la publicité liée aux moteurs de recherche
La publicité liée aux recherches1 constitue un marché spécifique et non substituable à d’autres formes de communication, notamment parce qu’elle permet un ciblage très fin et qu’il n’existe pas d’offre alternative équivalente aux yeux des annonceurs. Elle permet en effet d’approcher un prospect dans une démarche de recherche active et donc proche de l’acte d’achat (sur la définition des marchés pertinents et notamment sur la distinction entre publicité en ligne et hors ligne ou encore entre « search » et « display » voir page 23 à 36 de l’avis).
Sur ce marché, de nombreux éléments convergent2pour démontrer que Google détient une position dominante (pour plus de détails, se reporter aux pages 41 à 49 de l’avis ) : part de marché, niveau de prix, nature des relations avec les clients, niveau de marge, etc. Les barrières à l’entrée apparaissent en outre élevées pour développer une activité de moteur de recherche compétitive, compte tenu notamment des investissements en jeu pour le développement des algorithmes et de l’indexation des contenus ainsi que de l’effet de taille.
Cette position dominante n’est, bien sûr, pas condamnable en soi : elle résulte d’un formidable effort d’innovation, soutenu par un investissement important et continu. Seul l’exercice abusif d’un tel pouvoir de marché pourrait être sanctionné.
L’Autorité de la concurrence a examiné le fonctionnement concurrentiel du marché de la publicité en ligne et dressé, pour plusieurs types de pratiques, une grille d’analyse permettant d’apprécier leur compatibilité avec le droit de la concurrence
Elle a distingué les possibles abus d’éviction, destinés à décourager, retarder ou éliminer les concurrents par des procédés ne relevant pas d’une compétition par les mérites (élévation artificielle de barrières à l’entrée, clauses d’exclusivité excessives par leur champ, leur durée ou leur portée, obstacles techniques etc.) et les éventuels abus d’exploitation, par lesquels le moteur de recherche imposerait des conditions exorbitantes à ses partenaires ou clients, les traiterait de manière discriminatoire ou refuserait de garantir un minimum de transparence dans les relations contractuelles qu’il noue avec eux (voir tableau récapitulatif des différentes pratiques, pages 76 à 78 de l’avis).
L’Autorité, qui s’exprime à titre consultatif, ne se prononce pas sur la licéité de telles pratiques, qui méritent d’ailleurs, pour être poursuivies, des investigations souvent longues et complexes. Pour autant, ce cadre d’analyse montre bien que le droit de la concurrence peut mettre des bornes aux agissements de Google et répondre aux enjeux concurrentiels soulignés par les acteurs.
Récemment saisie par la société Navx de pratiques opaques et discriminatoires de Google, l’Autorité de la concurrence a ainsi ordonné au moteur de recherche de mettre en œuvre une série de mesures conservatoires, qui ont ensuite été pérennisées et précisées dans le cadre d’une procédure d’engagements (voir fiche 3 du dossier de presse). La Commission européenne vient de son côté d’ouvrir une procédure formelle concernant Google, qui doit notamment traiter de la question des modalités de classement des sites Internet par le moteur de recherche dans les résultats de recherche naturelle ou dans le cadre des liens commerciaux, question qui concentre de nombreuses inquiétudes.
Le cas particulier de la presse
La presse est très concernée par le présent avis, car elle est à la fois cliente, partenaire, concurrente et potentiellement fournisseur de Google.
L’Autorité estime qu’il faut transposer les obligations de transparence de la loi Sapin au secteur de la publicité en ligne
L’une des raisons de l’insatisfaction des éditeurs provient de l’absence d’audit ou de certification des données fournies par Google, notamment les recettes nettes à partir desquelles est calculé le reversement dû à ses partenaires, dans le cadre des prestations AdSense3. L’Autorité de la concurrence invite le législateur à préciser ou compléter le cadre juridique actuel issu de la loi Sapin afin de tenir compte des nouvelles conditions de fonctionnement du secteur de la publicité. Celui-ci pourrait mettre en place, par exemple, des obligations minimales de « reporting » ainsi que, pour les réseaux les plus importants, un mécanisme d’audit, éventuellement contrôlé par un tiers certificateur (sur ces questions se reporter aux pages 68 à 70 de l’avis)
Les éditeurs de presse doivent pouvoir demander et obtenir d’être exclus de Google Actualités sans pour autant être déréférencés du moteur de recherche de Google
Les titres de la presse dénoncent une « une forme de parasitisme économique » de la part de Google via l’agrégateur « Google Actualités » : Google, en présentant le meilleur de chaque titre, ce qu’évidemment aucun éditeur ne peut proposer individuellement, se positionne comme le site de référence de l’accès à l’information, et ceci sans verser de contrepartie financière aux journaux qui supportent les coûts de la création d’une information de qualité. Il est très important que les éditeurs de presse puissent demander et obtenir d’être exclus de « Google Actualités » sans pour autant être déréférencés du moteur de recherche de Google. Cette dernière entreprise a pris récemment des engagements en ce sens devant l’autorité de concurrence italienne : l’indexation des contenus de presse dans « Google Actualités » doit être découplée – par une démarche simple et préalable des éditeurs – de celle des contenus accessibles grâce au moteur de recherche généraliste. L’Autorité de la concurrence française veillera à ce que ces engagements, que Google annonce avoir déjà mis en œuvre, soient respectés en France.
L’Autorité se félicite des initiatives prises par les acteurs du secteur pour mutualiser leurs moyens et favoriser l’émergence de kiosques numériques payants
La presse est aujourd’hui confrontée au défi du numérique et il ne serait pas sérieux de désigner Google comme la principale cause des difficultés que traverse ce secteur.
A cet égard, l’Autorité prend note avec intérêt des initiatives prises par les acteurs du secteur pour mutualiser leurs moyens et favoriser l’émergence d’un modèle payant. De grands acteurs de la presse quotidienne nationale (Libération, Le Figaro, L’Équipe, Les Échos, Le Parisien), rejoints par plusieurs magazines (l’Express, le Point, le Nouvel Observateur), ont annoncé la création d’un groupement d’intérêt économique (GIE) en vue de mettre en place un portail commun de la presse en ligne.
Dans un souci de sécurité juridique, l’avis donne des éléments d’analyse sur la manière d’assurer la comptabilité de ces initiatives avec le droit de la concurrence (voir pages 72 et 73 de l’avis).
1 Quand l’internaute formule une requête, le moteur lui fournit des résultats qui se composent de liens « naturels » (algorithmiques) et de liens commerciaux (généralement placés à droite sur les pages de résultats Google) en rapport avec sa recherche.
2 L’Autorité s’exprime à titre consultatif et l’analyse du marché de la publicité en ligne à laquelle elle procède dans le présent avis est susceptible d’être modifiée ultérieurement dans le cadre d’éventuelles autres procédures, notamment pour tenir compte de l’évolution technologique très rapide du secteur, ainsi que des rapprochements envisagés entre certaines entreprises leader du secteur.
3 Google propose aux éditeurs de sites des partenariats au travers des services AdSense. Les revenus de publicité sont partagés entre Google et le site partenaire. Adsense for Search propose la fourniture d’une fonctionnalité de recherche sur la page d’un éditeur de site partenaire: le moteur de recherche local affiche des résultats naturels, qui peuvent être limités au site ou centrés sur le site, et de la publicité liée aux recherches. AdSense for Content propose l’affichage des publicités pertinentes choisies parmi celles d’annonceurs souhaitant recourir à ce type de publicité en fonction des mots présents dans la page d’un site partenaire du réseau AdSense.
|