L’Autorité de la concurrence se prononce par un avis à la suite d’une saisine de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ci-après « l’Arcep »), sur trois projets de décisions adoptés dans le cadre de la procédure d’analyse des marchés de gros du haut et très haut débit fixes (le marché « 1 » de fourniture en gros d'accès local en position déterminée ; le marché « 2 » de fourniture en gros d'accès de haute qualité en position déterminée ; et le marché de fourniture en gros d'accès aux infrastructures physiques de génie civil pour le déploiement de réseaux de communications électroniques). La demande d’avis porte, d’une part, sur l’identification et la délimitation des marchés de produits et de services pour lesquels une intervention ex ante est nécessaire afin de développer la concurrence et, d’autre part, sur la désignation de l’opérateur considéré comme « exerçant une influence déterminante » sur les différents marchés.
À titre liminaire, l’Autorité remarque que certaines nouveautés marquent les projets de décision proposés par l’Arcep pour le cycle de régulation à venir. En premier lieu, l’Autorité constate que l’Arcep prolonge la durée de son cycle de régulation des marchés fixes de trois à cinq ans, à un moment où ce cycle est source d’incertitudes nombreuses, notamment sur les modalités et le rythme de fermeture du réseau cuivre. En deuxième lieu, l’Autorité note que l’Arcep laisse en suspens la poursuite de la régulation du marché des offres de gros d’accès central en position déterminée à destination du marché de masse, dit marché « 3b », faisant ainsi reposer sa régulation, en ce qui concerne les marchés de masse, uniquement sur les marchés où peut se jouer une concurrence par les infrastructures. En troisième lieu, l’Autorité remarque que l’Arcep recourt pour la première fois à la procédure d’engagements prévue à l’article L. 38-1-1 du code des postes et des communications électroniques pour une partie de la régulation tarifaire du marché 1. Enfin, l’Autorité note que le cadre de régulation symétrique n’a pas fait l’objet de modification ou de complément depuis 2020, et pourrait être adapté en tant que de besoin en fonction des évolutions de marchés observées, en particulier la prédominance maintenant avérée des réseaux en fibre optique dans les réseaux fixes.
En ce qui concerne la délimitation des marchés, l’Autorité estime qu’il est possible de retenir l’existence d’une substituabilité entre les offres haut et très haut débit, comme le propose l’Arcep, aussi bien sur le segment généraliste que sur le segment entreprise. En ce qui concerne le marché de masse, l’Arcep s’est principalement fondée sur le fait que les usages restent comparables (absence de services uniquement disponibles en très haut débit), que les conditions de commercialisation des deux types d’offres sont proches et que les différences de prix restent limitées à des cas circonscrits. En ce qui concerne les offres à destination de la clientèle entreprise, l’autorité de régulation a constaté que le support physique du réseau ou le débit des accès proposé, ne sont pas des critères de choix prioritaires pour les entreprises, contrairement aux prestations adossées à l’offre d’accès qui présentent un caractère déterminant.
Si l’Autorité de la concurrence souscrit à l’analyse de la substituabilité proposée par l’Arcep, elle reste toutefois nuancée sur le caractère parfait de cette substituabilité au regard de la difficulté à faire migrer une part non négligeable de clients vers la fibre. La confirmation de ce constat au cours du cycle à venir pourrait être de nature à remettre en cause cette analyse de la substituabilité.
Concernant le marché de produits, l’Arcep a maintenu une analyse séparée du marché de fourniture en gros d’accès aux infrastructures physiques de génie civil pour le déploiement des réseaux de communications électroniques. L’Autorité soutient la définition séparée de ce marché au regard du caractère structurant de l’accès aux infrastructures de génie civil pour garantir la poursuite des déploiements des réseaux en fibre optique et assurer leur fiabilité dans le temps.
Concernant la délimitation géographique des marchés, l’Autorité approuve la délimitation nationale du marché de l’accès au génie civil. L’Autorité soutient également la délimitation nationale, fondée sur une analyse infranationale, des marchés 1 et 2, notamment en ce qu’elle permet de garantir un certain niveau de stabilité et de prévisibilité pour l’ensemble du cycle.
L’Autorité souscrit à la démonstration conduisant à la désignation d’Orange comme seul opérateur exerçant une influence significative sur chacun des marchés délimités.
S’agissant des principales évolutions de la régulation, l’Autorité accueille favorablement les propositions de l’Arcep, sur le marché de l’accès au génie civil, permettant aux opérateurs de poursuivre et d’achever leurs déploiements en fibre optique. L’Autorité soutient ainsi l’introduction d’une prestation d’accès spécifique adaptée aux conditions de mobilisation des infrastructures à des fins de raccordement, l’introduction d’une obligation financière à la charge d’Orange concernant le remboursement d’interventions de maintenance sur les infrastructures mobilisables à des fins de raccordement final et l’encadrement, en termes de délais et de quotas, des obligations d’Orange relatives au génie civil aérien et souterrain spécifique au raccordement final. L’Autorité soutient également la mise en place d’obligations d’information et de transparence en ce qui concerne la fermeture du cuivre, qui devraient améliorer la visibilité des opérateurs, la mise en place de mesures relatives aux modalités financières de la réparation du génie, ainsi que d’obligations d’information relative aux opérations de maintenance une fois réalisées, même si ces dernières auraient pu comprendre les opérations de maintenance à venir pour garantir une meilleure prévisibilité aux opérateurs.
L’Autorité note que la fermeture à grande échelle du réseau cuivre d’Orange constitue un enjeu majeur pour le cycle de régulation qui s’ouvre. Si sa fermeture commerciale intégrale devrait intervenir en cours de cycle, sa fermeture technique s’étalera en revanche sur une période plus longue.
À ce sujet, nombreux sont les acteurs du secteur qui regrettent que les modalités et le processus du « plan de fermeture » d’Orange semblent lui conférer une trop grande latitude (en particulier en ce qui concerne la composition des lots de communes pour la fermeture et la visibilité globale sur le plan). L’Autorité rappelle que les impératifs de transparence et de prévisibilité sont essentiels à la mise en œuvre du plan de fermeture du réseau cuivre d’Orange et ne doivent pas conduire à l’instauration de marges de manœuvre ou d’interprétation trop importantes au détriment des conditions de concurrence dans les zones de fermeture concernées. L’Autorité invite donc l’Arcep à s’assurer de la bonne mise en œuvre du plan d’Orange et à intervenir lorsque les choix ou l’application de critères suivis par l’opérateur ne garantissent pas les conditions de la dynamique concurrentielle à l’occasion de la bascule vers les réseaux à très haut débit.
À travers plusieurs mesures d’accompagnement de la fermeture du réseau cuivre, l’Arcep entend par ailleurs prendre en compte certains freins opérationnels rendant difficile une couverture à 100 % des locaux en fibre optique. D’une manière générale, l’ensemble des opérateurs appellent de leurs vœux cette transition afin de limiter l’utilisation en parallèle de deux réseaux distincts et d’offrir à leur clientèle les avantages (débits accrus, confort d’utilisation, etc.) qui résultent de l’utilisation des réseaux en fibre optique. Si ces mesures
ont vocation à faciliter cette dynamique, l’Autorité relève que certaines d’entre elles doivent faire l’objet d’une vigilance particulière lors de leur mise en œuvre. Parmi les questions qui se posent figurent leur impact sur la part des lignes cuivre qui perdureront dans le temps, la difficulté éventuelle de recourir à des technologies alternatives à très haut débit et la disponibilité réelle d’offres adaptées aux besoins des utilisateurs.
En ce qui concerne la portée de certaines mesures liées à la fermeture du cuivre, en particulier celles relatives à son niveau de qualité de service et à son encadrement tarifaire, l’Autorité constate que les scénarios concurrentiels qu’elle avait évoqués sur ces points dans son avis n° 20-A-07 qui comportent notamment un risque de rente semblent se confirmer depuis la publication par Orange du plan de fermeture de son réseau. L’absence de recul sur la dynamique concurrentielle qui accompagnera la fermeture du réseau cuivre, les incertitudes sur la part des lignes de cuivre qui resteront actives dans le temps – le nombre de clients réticents au changement pouvant aller jusqu’à 15-20 % – ou celles sur les délais réels qui s’écouleront entre la fermeture commerciale et la fermeture technique du réseau, apparaissent comme autant d’aléas susceptibles de jouer sur les incitations des opérateurs et de leurs clients à migrer vers la fibre. Aussi, l’Autorité invite l’Arcep à veiller à ce que les allègements de l’encadrement de la qualité de service et du cadre tarifaire du dégroupage ne créent pas de déséquilibres sur le marché.
L’Autorité relève que la poursuite des déploiements pour rendre l’ensemble des locaux éligibles est centrale pour pouvoir faire migrer l’ensemble des clients vers la fibre le moment venu. À ce titre, l’Autorité souligne qu’il paraît nécessaire que les fichiers d’information relatifs à l’éligibilité des locaux aux réseaux en fibre optique (fichiers IPE) soient exhaustifs, c’est-à-dire qu’ils comprennent l’ensemble des locaux, et contiennent une information détaillée à propos de chaque local, en particulier un éventuel statut de gel commercial. En outre, l’Autorité soutient les propositions de l’Arcep relatives à la gratuité de la résiliation des accès à la boucle locale d’Orange pour les opérateurs là où ils n’ont pas d’autre choix que de résilier cet accès, et au remboursement du trop-perçu par Orange lorsqu’Orange a bénéficié d’une levée du contrôle tarifaire pour une durée plus importante que le délai prévu initialement, en raison d’une absence de fermeture technique du réseau cuivre. Ces mesures semblent de nature à ne pas faire peser sur les opérateurs un surcoût lié à la fermeture du réseau cuivre, ce qui devrait participer à la migration vers le réseau en fibre optique.
L’Autorité constate que le marché entreprise est considéré, comme dans les cycles précédents, comme un marché visqueux où la concurrence est peu développée. Toutefois, l’Autorité relève que la période de migration vers la fibre constitue une fenêtre inédite d’ouverture à la concurrence, à l’occasion de laquelle un nombre important d’entreprises pourraient envisager un changement d’opérateur. L’analyse de l’Autorité fait ressortir deux axes majeurs permettant de favoriser cette dynamique potentielle de migration. Il s’agit tout d’abord de renforcer l’éligibilité des entreprises en s’assurant que tous les locaux d’activité soient répertoriés et identifiés de manière précise et exhaustive dans les fichiers d’éligibilité aux réseaux en fibre optique. Par ailleurs, la faculté, pour les entreprises, de souscrire des offres effectives proposant sur la fibre des prestations au moins équivalentes à celles dont elles disposaient sur le cuivre et correspondant à leurs besoins (en particulier les liens de sécurisation de bout en bout, le multi-accès, et le multi-sites) est nécessaire. L’Autorité appelle donc l’Arcep à une vigilance particulière sur ces deux axes, afin que tous les opérateurs puissent poursuivre leurs déploiements et les raccordements, et qu’ils puissent ensuite proposer leurs offres commerciales dans des conditions similaires.